mercredi 11 novembre 2020

Ils avaient vingt ans

 



Ils avaient vingt ans et ils sont partis, la fleur au fusil, en chantant ! Ils criaient A Berlin mais ils n’y sont jamais arrivés. Certains sont morts le premier jour, d’autres le dernier, d’autres encore, terrés dans des tunnels, comme les taupes, ont fabriqué des bijoux avec des morceaux d’obus qui se sont vendus à prix d’or à l’arrière !

Ils avaient vingt ans, l’âge des amours mais au bout de quelques mois, ils ressemblaient à des vieillards et ne savaient plus pourquoi ils se battaient.

Lors de rares permissions, ils croisaient des hommes bien portants, heureux, fumant le cigare en pensant aux plaisirs.

Les femmes avaient des allures de garçonne et elles riaient sans retenue, pressées de connaître l’amour sans craindre qu’un homme n’aperçoive leurs chevilles lorsqu’elles marchaient dans la rue.

Hébétés, hagards, dans un monde parisien qui leur échappait, ils n’avaient qu’une hâte : reprendre vite le train pour retrouver leurs camarades d’infortune, les assauts, les obus, la gamelle et la crasse des tranchées.

Certains devenaient fous et il fallait les enfermer dans des asiles, le moins longtemps possible car on avait besoin d’hommes pour monter à l’assaut et affronter la grande faucheuse.

Ils avaient vingt ans et on a jeté leurs corps dans des charniers.

Ils avaient de la terre dans la bouche en guise d’obole et aucun passeur n’était prêt à les aider à franchir le Styx et rejoindre le champ des héros.

Pas d’Iliade, pas de chant pour eux ! Où sont les Ulysse, les Nestor, les Ajax, les Patrocle, les Achille, les Agamemnon ?

Pas de héros, des cadavres en devenir, voués aux vautours !

Le pire consistait d’ailleurs à revenir, une fois la guerre terminée, avec un visage ravagé, des amputations et les bronches atteintes par des gaz qui vous faisaient mourir à petit feu !

Ils avaient vingt ans, ils étaient pleins de vitalité mais ils se sont retrouvés dans une danse macabre inouïe, hors du commun et tous les coquelicots du monde, les bleuets ne leur rendront pas leur jeunesse perdue et jetée au vent.

Pleurons ces fleurs coupées en plein vol, meurtries et portant d’horribles blessures pour le plaisir des marchands de canons qui attendront la prochaine guerre avec gourmandise pour faire sonner les louis d’or !

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