mardi 3 novembre 2020

La reconquête

 



Lors de son premier conseil, Gabriel s’entoura de sa sœur, Fleur de Paradis, une innovation à la Table Ronde, ses oncles Tristan-Lou et Enguerrand le Magnifique et pour compléter la cène, il alterna chevaliers du siège de Johan et les adolescents de sa première table ronde.

La question de remède à apporter à l’épidémie galopante resta sans réponse précise.

Fleur de Paradis «émit une hypothèse : ne faudrait-il pas chercher la cause profonde et morale de ce fléau, s’appuyant ainsi sur les textes anciens, à commencer par l’Iliade. Une offense à un dieu avait engendré une riposte épidémique. Les cadavres des Grecs jonchaient le sol et pour en finir avec cette maladie mortelle, il fallut adoucir le dieu en rendant une  prisonnière, Chryséis, prêtresse du dieu Apollon, offrir des présents en guise de dédommagement et pratiquer un sacrifice rituel, une hécatombe pour que le fumet des viandes monte au ciel.

Le rappel de cet épisode qui ouvrait l’Iliade, opposant le roi Agamemnon à un prêtre du dieu Apollon, frappa les esprits.

Tristan-Lou évoqua alors le cas de la fée Morgane : elle avait été justement précipitée dans les oubliettes du château suite à son entreprise criminelle destinée à faire mourir Rose du Buisson Ardent et l’enfant qu’elle portait.

Nul ne savait ce qu’elle était devenue.

Il fut décidé, à l’unanimité, qu’on aille voir la prisonnière pour aviser de la suite à donner à cet enfermement.

On dépêcha quelques guerriers qui revinrent bredouilles : Morgane avait disparu !

Elle avait laissé derrière elle un grimoire que nul n’osa toucher, de peur d’être victime d’une malédiction.

C’est une piste intéressante dit Gabriel mais qui aura le courage d’explorer le Val-sans –Retour, son domaine, pour savoir si elle y est revenue ?

Je suis partant, Monseigneur, dit alors Cyril des Embruns, jeune chevalier intrépide et courageux.

Afin de ne pas laisser cette porte fermée, Gabriel reçut cette proposition comme une bénédiction.

Il aimait beaucoup Cyril des Embruns c’est pourquoi, craignant de le perdre, il lui recommanda d’être prudent : Morgane était si pernicieuse !

Cyril partit à la tête d’une escouade d’hommes prêts à affronter le danger.

Gabriel lui donna la réplique du Saint Graal afin d’en user pour rompre un sortilège.

Ils se donnèrent l’accolade et Cyril partit, le cœur léger.

Sans en référer à âme qui vive, Fleur de Paradis alla dans les oubliettes et prit le grimoire.

Il était enveloppé dans une reliure en cuir bois de rose, ce qui incita la jeune fille à en commencer la lecture.

Au début, elle eut de la peine à en comprendre le sens.

Morgane s’exprimait par énigmes.

Une phrase l’intrigua : «  Rose d’Orient, oriflamme des chevaliers perdus dans la lande, errant comme les fantômes du Val-sans-Retour, je vous conduirai à la victoire ».

Que cherche-t-elle ? se dit Fleur de Paradis. Désire-t-elle prendre le pouvoir ? diriger la Table Ronde et nous éliminer les uns après les autres ?

La jeune fille pensa alors que son hypothèse était la bonne. Il fallait donc empêcher Morgane de nuire.

Rose du Buisson Ardent, mise dans la confidence, tint à jouer un rôle actif dans la reconquête du pouvoir de la Table Ronde.

Elle se vêtit de bure, porta la croix du seigneur sur sa poitrine, chaussa ses sandales de cuir et partit pour le Val-sans-Retour en emportant ce qu’elle avait de plus précieux, sa parure nuptiale, celle qui avait été conçue selon les révélations intimes de son corps.

Alors qu’elle se reposait à l’ombre d’un énorme buisson d’églantines, elle vit passer le chevalier Cyril des Embruns et son escorte : ils portaient les stigmates de la défaite et la croix pourpre qu’ils arboraient sur leur tunique était assombrie par un voile noir.

Rose du Buisson Ardent ne souhaita pas leur parler. Ils souffraient suffisamment d’avoir échoué dans leur entreprise. Les interroger serait superflu et douloureux.

«  Vous faites bien, ma mie, lui murmura une voix qu’elle connaissait bien, celle de son époux Jehan des Roselières. Je suis en vous, caché dans la rose de votre corps et j’y reçois les ondes du réel et du surnaturel. Je vous protègerai, mon ange, car j’insufflerai ma force d’antan à votre rose intime, immortelle et sacrée ».

La voix se tut mais Rose du Buisson Ardent sentit que des forces vives s’emparaient d’elle et elle reprit sa route, réconfortée et ragaillardie.

Pendant ce temps, le chevalier vaincu rentrait au château et rendait compte de son expédition.

Morgane ne s’était pas montrée mais sa présence néfaste était avérée car le chevalier et ses hommes avaient été victimes de tourbillons vertigineux qui les précipitèrent dans des crevasses si dangereuses pour leurs montures qu’ils mirent pied à terre, progressant contre des forces invisibles qui les garrottaient.

Des cavaliers restèrent à l’arrière pour protéger les chevaux et ils eurent toutes les peines du monde pour les sauver. Conscients du danger, ils étaient nerveux et ruaient à tout propos.

Le chevalier et ses hommes durent affronter des esprits frappeurs. Ils étaient souffletés avec une telle violence que leur heaume se brisa.

Rires sardoniques, coups en traîtres, rien ne leur fut épargné.

Alors Cyril des Embruns rassembla toutes ses forces et cria :

«  Morgane, montre-toi, révèle nous la beauté de ton visage et nous te tiendrons quitte de tes fautes passées.

Tu reprendras ta place dans notre royaume, si tu le souhaites mais je t’en conjure, mets un terme à cette épidémie qui frappe tant d’innocents !

Chevalier, tu parles bien mais ton éloquence ne me fera pas oublier que l’on m’a jetée dans les geôles du château. J’ai réussi à m’échapper grâce à la magie que j’ai toujours maîtrisée.

Ma rancune néanmoins reste entière.

De plus, je ne suis en rien responsable de l’épidémie qui vous frappe. C’est une vengeance divine et pour ma part, dans le Val-sans-Retour, je suis protégée par les buissons d’épineux et les korrigans qui veillent à ce que personne ne sorte vivant de mes filets.

Pour tes paroles aimables et ton allusion à ma beauté, je te fais grâce de la vie, à condition que tu repartes au plus vite avec tes hommes. Porte ma réponse à ton suzerain : sur tous les points, c’est non » !

La voix se tut et comme les esprits frappeurs s’apprêtaient à reprendre leur nocive activité, la mort dans l’âme, le chevalier se plia aux désirs de Morgane et il était revenu au château, défait sans avoir pu combattre.

Ton courage et ta valeur ne sont nullement remis en cause dit sobrement Gabriel de Fol Espoir.

Repose-toi et réconforte tes hommes.

Ma mère, l’admirable Rose du Buisson Ardent est en chemin, en simple suppliante.

Peut-être parviendra-t-elle à émouvoir le cœur de pierre de Morgane. Attendons son retour.

Chacun se retira dans ses appartements, soucieux de prolonger un isolement qui, seul, pouvait les tenir éloignés de l’épidémie.

   

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