dimanche 29 novembre 2020

Sur les traces d'Ulysse

 



Au lycée Watteau de Valenciennes, l’ambiance était très différente de celle qui régnait à Douai. Certes, le port de la blouse était obligatoire mais on pouvait rapporter ce vêtement chez soi, ce qui évitait les cohues pathétiques de la rentrée quotidienne.

Par contre, pour moi, le problème numéro un restait celui des déplacements.

Au début, je pris le tramway. Mon père m’avait dit : «  Tu as une langue, c’est pour t’en servir ».

Il aurait sans doute été plus judicieux de faire un repérage initial car les indications données par les passants manquaient de clarté quand elles n’étaient pas erronées.

J’errai longtemps après les cours, avant de trouver la station adéquate et je rentrai chez moi à une heure tardive alors que j’avais une sérieuse mise au point à faire pour le lendemain.

Par chance, l’épouse du médecin d’une commune voisine prit un chauffeur pour que l’on conduise ses trois fils au lycée et elle chercha des personnes intéressées pour amortir le prix des voyages.

Plus de tramway, la voiture ! et par la suite, ce fut un bus qui me permit de connaître un peu mieux Laurence qui était dans ma classe et ne parlait à personne, jetant un regard dédaigneux sur tout le monde.

Elle devint mon amie mais un peu par défaut car dans cette classe de vingt héllenistes, chaque élève avait pour but primordial de comprendre cette belle langue grecque qui ne se laissait pas appréhender facilement.

Le soir, je regagnais vite ma chambre pour mettre à jour toutes les préparations, notamment latines qui s’amoncelaient au fil des cours.

Ce rythme infernal provoqua le retour des malaises subis à Douai.

Alors que toutes les classes, rangées, étaient réunies dans la cour, chaque classe étant alignée près de son baraquement (nous subissions encore les tristes effets des bombardements de la seconde guerre mondiale), je tombai brutalement, perdant connaissance et lorsque je repris mes esprits, j’étais isolée, près de la porte.

Deux agents entrèrent et demandèrent où se trouvait la malade. Notre professeur qui semblait être en état de choc, me désigna.

Je voulus protester mais les mots ne purent franchir le seuil de mes lèvres et je partis, soutenue et escortée par ces deux hommes robustes qui peinaient pour diriger mes pas.

Le proviseur convoqua mon père et lui brossa un tableau clinique de la situation car je n’avais pas pu dire ce qui m’était arrivé, faute de souvenirs.

J’eus affaire à un neurologue de l’hôpital de Lille et les prescriptions consistèrent à l’administration de médicaments puissants qui me plongeaient dans le sommeil, y compris lorsque j’étais en classe.

Dans ces conditions, il devenait difficile, pour ne pas dire impossible, de suivre les cours.

Alors le proviseur intervint avec intelligence et humanité. Elle me dispensa de cours qui n’étaient pas indispensables, dessin, musique, gymnastique. Durant ces heures, j’allais à l’infirmerie pour m’y reposer.

Elle me donna également une autorisation spéciale pour que je puisse sortir du lycée en fin d’après-midi, ce qui me permit de m’aérer dans le jardin public qui était proche du lycée.

La souplesse de ce régime adapté produisit ses fruits et je retrouvai enfin mon rang de bonne élève avec les Félicitations trimestrielles.

Lorsqu’elle annonça les résultats, toutes classes confondues, dans le gymnase, la chère dame prononça mon nom avec un plaisir évident puis elle ajouta : «  Où est Marguerite-Marie ? Qu’elle sorte des rangs pour que je la voie bien ».

Elle était si heureuse d’avoir pu contribuer à ce qui s’apparentait à un sauvetage qu’elle faisait plaisir à voir.

J’eus mon lot d’admiratrices et d’ennemies mais peu importait à mes yeux.

J’étais sur les traces du divin Ulysse et cela suffisait à mon bonheur !

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