vendredi 4 décembre 2020

Dentelles et Falbalas

 




Je suis née le 22 Avril 1945, à la maison, sept ans après mon frère, l’enfant de l’amour.

L’armistice n’était pas encore signé et j’ai poussé mes premiers cris dans un état encore en guerre.

«  Voilà votre poupée » dit le médecin à Maman qui appliqua ce terme ludique au pied de la lettre à ma personne.

Le plus souvent vêtue de taffetas et d’organdi, tissus savamment cousus à l’aide d’une machine Singer dont je dus épousseter, par la suite, la pédale en fer forgé, les cheveux bouclés au fer à friser et ornés de rubans, j’étais une poupée vivante.

J’avais l’interdiction formelle de jouer pour ne pas me salir. Notre voisine, une Polonaise prénommée Héléna, eut pitié de moi et elle informa mon père, dans son sabir habituel, qu’il n’était pas bon pour un enfant de demeurer immobile et de porter des vêtements qui n’étaient pas confortables.

Mon père fit celui qui n’entendait pas car la mésentente avec ma mère était telle qu’un fossé devenait de plus en plus grand entre ces deux anciens amants.

Maman parlait de se jeter dans le puits, ajoutant qu’elle m’entraînerait dans son acte désespéré.

Mon frère me recommandait de ne jamais suivre Maman près du puits mais je n’en avais cure, pensant sans doute qu’une fée apparaîtrait à point nommé pour me tirer d’affaire.

Je la suivais docilement alors qu’elle se dirigeait vers le puits. Elle éclatait en sanglots à mi-parcours, me serrait très fort contre sa poitrine puis tout à coup, elle se calmait et disait presque gaiement : «  Je vais te faire des gaufres ».

Je pris l’habitude de ces volte-face et me laissai affubler de vêtements qui me donnaient l’apparence d’une héroïne de la Comtesse de Ségur mais qui me faisaient souffrir.

Je me souviens d’un ensemble en velours bleu, fort seyant selon mon père qui se fendait en félicitations destinées à la couturière et à moi, par ricochets. Cet ensemble était serré à la taille par un énorme nœud. Or, je souffrais d’aérophagie et cette ceinture devenait un instrument de torture à mi- repas.

Un jour, n’en pouvant plus, je sortis de table au restaurant, pressée de me défaire de cette toilette, ce qui me valut un regard courroucé et indigné de ma mère et plus tard une gifle, ce qui était, de sa part exceptionnel et révélateur de son désarroi et de sa totale incompréhension :

Comment pouvait-elle avoir une fille aussi ingrate ? Pourquoi mon corps était-il réfractaire à tout effort nécessaire à la beauté ?

Elle envisagea de me faire porter un corset, ce que le médecin déconseilla vivement, ajoutant qu’elle ferait bien, par ailleurs de se défaire du sien.

Elle se sépara de son corset à contrecœur lorsque ce que l’on appelait l’angine de poitrine frappa les premiers coups de son entrée en scène.

Néanmoins, elle demeura ce qu’elle avait toujours été, coquette et élégante, portant le chapeau avec maestria.

Elle voulait que je sois la plus jolie et lorsque je la suppliais de jeter son dévolu sur des vêtements qui me permettent d’être comme tout le monde, elle bondissait comme si elle avait été piquée par un essaim d’abeilles.

«  Comme tout le monde » ! Mais voilà précisément ce qu’elle ne voulait pas !

Lorsque j’arrivais à l’église, le Dimanche, tout le monde se retournait pour voir quelle toilette je portais et j’aurais voulu disparaître dans un trou de souris.

Son désir de beauté totale à mon endroit connut cependant un fléchissement lorsque je rentrai, un jour, à la maison, apeurée et tremblante.

Je portais un joli costume en velours rouge. Maman m’avait envoyée au bourg acheter du beurre, comme par hasard, et je vis deux jeunes garçons rieurs fondre sur moi en criant : «  Oh le joli petit chaperon rouge ! Je me sens devenir loup » et ils riaient comme des fous.

Oubliant le beurre et autres emplettes, je courus à la maison, suppliant ma mère de ne plus m’obliger à revêtir ce costume.

Maman était partagée : elle avait conscience de m’avoir peut-être exposée à un danger mais elle triomphait à part soi. Son talent de costumière avait produit son effet et j’avais été remarquée !

Elle opta cependant pour la prudence et rangea le costume de petit chaperon rouge dans l’armoire pour ne plus jamais l’en sortir.

En grandissant, je pris du recul avec la manière de me vêtir et je finis par réagir, un jour, lorsqu’un jeune homme qui me courtisait s’enhardit pour aller jusqu’à me demander si je faisais exprès de m’habiller aussi mal.

Vexée, je partis acheter une robe sexy à la mode, ce que ma mère appela ma « robe nana ».

Elle était moulante et modelait ma silhouette, dévoilant ma poitrine avec générosité.

Je mis la robe dans ma valise pour rejoindre un ancien professeur de Français au lycée de Douai, Antoinette, qui m’invitait à participer au festival d’Avignon.

Elle payait tous les spectacles et mon père devait simplement régler la pension et me donner un peu d’argent de poche.

Antoinette critiqua mon tailleur strict à mon arrivée en s’écriant : «  Ici, tout le monde est vêtu de manière fantaisiste : Soyez dans le vent » !

Ma « robe nana » prit donc du service et passa inaperçue dans le monde des festivaliers.

Or, Antoinette avait un projet, celui de se rendre à Marseille pour chercher une future carmélite qui, en attendant de prononcer ses vœux et de prendre le voile, vivait dans un appartement HLM loué par une religieuse en civil, étant donné qu’elle faisait une étude sur le milieu modeste de contemporains.

Les deux religieuses étaient vêtues sobrement sans aucun signe ostentatoire de leur religion.

Un soir, comme nous revenions de la plage, le chauffeur de bus me fit une cour pressante. Il se retournait sans cesse pour me lancer des œillades, ce qui me gênait surtout vis-à-vis des deux religieuses.

Antoinette était furibonde car cet épisode gâchait ses plans de féerie vis-à-vis de son amie et nous descendîmes du bus de la honte.

Le chauffeur jurait de nous offrir le tour complet de Marseille à bord de son véhicule et il nous suivait au pas, déclenchant sans cesse la porte d’entrée pour nous tenter !

«  Marguerite-Marie, il n’a pas cessé de regarder ta poitrine : tu me feras le plaisir de ne plus mettre cette robe » !

Ce fut la fin de la « robe nana », elle rejoignit les dentelles et les falbalas de mon enfance et je retrouvai mes tenues justes correctes qui s’apparentent à mes états d’âme, tournés vers les livres et les beautés intérieures de mes rêves !

 

 

 



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