dimanche 14 juillet 2024

Promenade en Brocéliande

 


 

 

Il était une fois un homme aux yeux couleur de mer … Cet allié des forces de la nuit m’offre dans ses mains l’écume de l’enfance.

Près du miroir aux fées, deux enfants courent en riant après les libellules … Anne, regarde la jolie bleue ! Sylvain, j’ai peur des loups … Les deux petits se tiennent par la main et s’égratignent aux ajoncs dans le Val sans Retour. La bruyère parfumée réunie en bouquets ira orner le tombeau de Merlin.

Fais un vœu, Anne chérie ! Les songes des enfants éclatent en lucioles.

L’or pailleté de tes yeux sera toute ma richesse, toi, dont la taille souple se lie au peuplier …

Nichée dans un vieux chêne, la tourterelle a assisté aux serments des amants, mais jamais n’en soufflera mot à âme qui vole, surtout pas à la pie qui va de chênaie en châtaigneraie, à semblance d’amour. En un éblouissement mauve, j’ai revu les chères images de tous ces hiers jetés aux sarments qui crépitent dans l’âtre des amours perdus.

Non, mon Aimé, je ne veux pas que tu partes ; je lutterai jusqu’au bout de la nuit pour que vive la projection multiforme de ton corps immortel.

Je le proclamerai tel, quand bien même la cire de la mort coulerait ton visage aux rides du temps.

Une mouette vole sur la jetée du Petit Mousse, se recueille un instant au bord de la tombe de l’Inconnu à la vareuse marine, puis barbote sur les vagues à l’abri des rochers.

Je me promène dans les calèches du rêve, sur des nuages de guimauve ourlés de gris.

Je joue avec ce très beau collier de perles que tu m’as offert un jour de pluie et j’enfile les mots pour en faire des poèmes qui meurent inachevés sous ma plume de reine … oui, je suis reine d’un royaume aux frontières du Néant.

Des allées de fuchsias et de rosiers mousseux m’entraînent dans un palais niché au fond d’une forêt, près d’un étang peuplé de poules d’eau et de sarcelles que je refuse farouchement aux chasseurs. Non, messieurs, vous n’aurez pas ces plumes. Elles ornent si joliment l’eau d’arabesques vivantes. Le royaume de Viviane est ici. Ne le cherchez pas dans un Avalon d’aventure, ne cherchez plus le château Périlleux, le royaume d’autrefois est au fond de notre cœur. La phosphorescence de mon âme rejaillit sur les cailloux bleus du chemin chiffré de houx et de schistes roses.

L’encorbellement azuré des vieilles pierres retrace le destin d’étranges Mélusines aux blondeurs de naïades.

Je me baigne au Pas du Houx et songe aux noirs tourments des mères en mal d’enfants. Je chante des romances issues d’un autre temps, et, sur la berge des amants, je martèle les mots pour en faire des pierres de lune accessibles aux errants.

Une branche de noisetier m’aide à me guider dans le lacis du blanc terroir des fées. Le long voile de la dame blanche flotte un instant, puis se déchire dans les brumes. Les fleurs d’oranger de la couronne tombent sur les veines violacées de la pierre qui sert de trône à l’enchanteur Merlin. Une draperie turquoise a remplacé la robe de mariée ; la dame blanche sourit en montrant son alliance sertie de minuscules pierres bleues. Mais qui est son époux ? C’est le Prince de la Nuit, murmure-t-elle … La jeune femme trouvée dans le tombeau est ma dépouille mortelle, trop lourde pour les blanches cavales du royaume de mon mari.

J’ai offert mon carrosse aux jeunes gens qui ont bien voulu, pour moi, enterrer ce corps recouvert de dentelles ; un jour, elles auraient jauni dans des armoires centenaires parmi des sachets de fleurs séchées à l’image de nos amours.

Le Prince de la Nuit est un tendre et fougueux époux. Nos enfants se mêlent à la terre en reconnaissance de la dette ancienne qui me relie au village qui m’a vu naître.

Te voilà à présent sur le chemin de la Fontaine de Barenton. Fais bon usage de sa féerie. La dame blanche disparaît dans un sourire diaphane et je retrouve le chemin du rêve, ses pierres et ses errements.

Tremblement des feuilles, lueur argentée, gazouillis de l’eau, je suis assise sur le perron de Merlin, le gobelet d’or à la main, mais je me garderai bien de répandre une seule goutte d’eau ; je ne tiens pas à voir apparaître le noir cavalier drapé de tempêtes et d’éclairs sur un alezan écumant.

Je goûte l’éternité de cet instant. Un rouge-gorge picore quelques miettes de pain. Je suis passionnément le fil de l’eau, m’identifiant au bouillonnement bleu.

Prisonnière du courant, je me laisse inonder de jouvence, devenant l’âme de la nuit. Garance ou pastel, je me love et me disperse sur les pierres pour me retrouver assise dans la bruyère.

Le rouge-gorge s’est posé sur mon épaule et joue dans l’entrelacs de mes cheveux.

La chanson de l’oiseleur me ramène naturellement à Toi, tes mains où s’inscrit l’étoile du matin, tes yeux de source, ton rire d’enfant. Je sais que tu m’attends au détour du chemin.

Alors, je marche, jusqu’à ce que vienne le commandeur aux yeux de mer. A l’instant même où il me pressera sur sa poitrine de pierre, éclateront en bouquets sauvages toutes les images Turquoise qui ont hanté mes nuits.

Ma vie se défera d’un coup dans un déchirement de soie et de mimosa ; le bruissement des ailes de tourterelles emportera mes songes dans un pays lointain, ocre et bleu, où vivent les cigognes et je renaîtrai dans le sanctuaire du Marabout, tout près d’une rivière pailletée d’or.


 

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