vendredi 19 juillet 2024

Promenade

 


 

 

« Le long du coteau courbe et des nobles vallées

Les châteaux sont semés comme des reposoirs… »

 

Pourquoi donc me répète-je ces vers avec obstination ? Rien à voir avec la Loire, ce canal avec ses berges si droites, collant aux pieds… Vols d’hirondelles. To dart – Ah ! les souvenirs scolaires ! Aussi difficile de s’en détacher que cette boue. Air vif, joues roses, plus belles encore avec le fond de teint B… fusée de rire. Courons plus vite, plus vite, pour rester à la même place. Il tombe une pluie très fine qui mouille à peine. Le canal éclatait, courait lui aussi. Il avait une force cachée. Où et comment se manifestait-elle ? Il avait l’air si bête avec ses berges si droites. Pas même une péniche pour le sauver. Il en passait bien pourtant, de belles, chromées, pimpantes… On a envie l’espace d’une minute de se jeter à l’eau, jouer les sirènes et monter sur leurs ponts.

Je suis une fille raisonnable, Papa le dit toujours, et il doit s’y connaître.

Raisonnable, responsable, comptable, clerc de notaire, crinoline… Un nénuphar tourne, tourne, grossit à vue d’œil, se déploie, robe d’eau blanche brodée d’argent. Cette robe, je la reconnais. N’est-ce pas celle de la pâle Ophélia ?

La pâle Ophélie flotte comme un grand lys… lys, liseron sauvage.

Comme elle aimait ces jolies fleurs délicates qui se ternissent au moindre souffle impur…

Il était certes étrange qu’elles poussent parfois sur des immondices.

- Alors, on s’ promène ?

Elle toisa le vulgaire voyou qui interrompait le cours de ses pensées inachevées de l’œil limpide et sournois de l’adolescente en pleine transformation, et feignant de négliger le regard évaluateur qu’il lui avait décoché, passa, négligente et alentie alors qu’elle bouillait au plus profond d’elle-même comme marquée au fer.

Fer – esclave antiquité.

La Grèce !

Quel beau rêve ! Irait-elle jamais dans ce pays merveilleux ? C’était bien inutile, elle le savait pourtant. Ce pays, elle le portait en elle… mais pourquoi confronter ses rêves avec la trébuchante réalité ? … tous ces cailloux, cette poussière qui lui remontait jusqu’aux cuisses, cette saleté si peu poétique… Avait-elle atteint les frises du Parthénon ?

Après tout, le Parthénon n’était qu’une œuvre de commande. Quant à elle, son destin se dessinait sur les berges imbéciles d’un canal qui bientôt serait désaffecté. Elle le voyait déjà, plus stupide encore, n’allant nulle part, ses vannes fermées.

Et elle… comme lui… stérile malgré les enfants qu’elle porterait sûrement

le figuier stérile…

les lys des champs…

Si elle pouvait en être un !

Mourir sans protester, sans se poser de question.

Le repos végétal…

Elle froissa une fleur au passage avec le désir de lui faire mal.

Ne souffrait-elle pas, elle, dans sa chair, dans tout son être de se sentir ainsi limitée, ainsi bornée…

- Oh ! la belle ! v’nez faire un tour !

J’vous emmène jusqu’à Bruxelles.

Un marinier rieur l’interpellait. Il n’avait rien d’un Jason et pourtant sa vieille péniche avait un je ne sais quoi… de l’Atalante peut-être lui souffla le malicieux petit génie qui l’agaçait tant avec sa manie de toujours faire coïncider la réalité avec l’imaginaire donnant ainsi à la plus banale de ses occupations l’apparence d’un plagiat.

Quand serai-je donc moi-même ? songea-t-elle irritée.

- Suis-je d’ailleurs quelque chose ?

De désespoir, elle se roula dans l’herbe.

Et c’est là, son être tendu vers les nuages qu’elle comprit enfin.

l’herbe, l’herbe, il y en avait tant

Si belle

Si vraie

Si pure

et dessous,

la terre, la vieille écorce qui brûlait de force contenue et tout près l’eau

sale et parfois bourbeuse

mais si limpide dans sa continuité…

Quand elle se releva, il n’y avait plus qu’un tout petit cadavre d’enfant sur la rive.

Elle embrassa mentalement le voyou

qui n’avait pas changé de place

sphinx moderne

et partit d’un pas neuf

vers la monstrueuse ville

- sans lumière

- sans couleur

- sans vie

vers la mort

- sans peur

car elle venait de l’étreindre.

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