vendredi 23 juin 2023

Antoine, le forgeron


Le lendemain, après avoir avalé un grand bol de café-chicorée au bon lait cru et mangé quelques tartines de pain à l’hibiscus, Max remercia Angèle pour l’excellence de son travail et partit vers la forge de son enfance, le lieu de rendez-vous des amateurs d’étincelles et de martèlement de l’acier.

La forge était fermée mais la petite maison qui y était accolée semblait habitée et de fait, la porte s’ouvrit pour qu’apparaisse la silhouette d’Antoine, le colosse déchu.

Les ans l’avaient aminci et il paraissait dénué de sa force.

Il reconnut Max au premier coup d’œil et il l’invita à venir boire un café en sa compagnie.

La cuisine était bien chauffée et une cafetière à l’ancienne reposait sur le côté de la cuisinière où mijotait déjà le repas de midi, des joues de bœuf en carbonade flamande.

Sur le buffet, il y avait des photographies anciennes. On y voyait notamment Antoine ferrant le cheval de Marcel Cabre, le fermier qui habitait dans la rue chère à Max.

Il aperçut également une ronde de communiants au sortir de l’église et il se reconnut, le cœur battant, en chevalier servant de la petite reine, Elisabeth au cruel destin.

Antoine suivit son regard et soupira :

«  La pauvre petite, elle ne méritait pas ça » !

Tout en buvant son café, à la mode du Nord, à la croquette, Max chercha une phrase qui lui permette de rebondir sur l’affaire mais il ne trouva que des questions relatives à sa famille : qu’étaient devenus les parents  d’Elisabeth ?

Il se souvenait notamment de sa mère, une belle femme qui regardait son prochain en prenant un air supérieur.

Rien n’était trop beau pour Elisabeth et ceux qui avaient espéré l’inviter à leur fête en étaient restés sur leurs frais car l’épouse du directeur de la Belle Jardinière ne trouvait personne digne d’approcher sa fille.

Quel secret cachait donc cette jolie petite Elisabeth, si fébrile dans sa robe de fée, le plus beau jour de sa vie selon la formule consacrée ?

Il y avait eu des prémices car, lors de l’épreuve du confessionnal, Elisabeth avait tiré la mauvaise carte, celle qui lui assignait le confesseur missionnaire, un redoutable jésuite.

Elle était si blême que Max lui avait proposé un échange car le sort lui avait désigné le débonnaire vicaire de leur église médiévale qui avait vu s’incliner le roi Philippe Auguste lors d’un déplacement dans les Flandres, terre où s’affrontaient peuples du Nord et du Sud.

Par la suite, en menant ses interrogatoires, l’inspecteur Max Lambert avait repris la rhétorique implacable du missionnaire qui avait démantelé les justifications du petit Max dont se satisfaisait habituellement le vicaire de l’église Saint Michel.

Elisabeth, en revanche, semblait soulagée en quittant l’église mais elle n’était pas entièrement délivrée de cette terrible inquiétude qui la taraudait.

Max s’en voulait de ne pas lui avoir posé de question. Elle serait peut-être en vie aujourd’hui s’il n’avait pas été si impressionné par sa beauté.

Il soupira et Antoine lui révéla alors qu’après l’enquête, toute la famille de la petite victime s’était envolée pour un lointain pays d’Afrique, laissant la tombe de la pauvre enfant à la discrétion de la fleuriste du village, grâce à une enveloppe qui, par la suite, n’avait pas été renouvelée.

Max se promit de s’incliner sur le tombeau d’Elisabeth et de le fleurir de roses blanches et de lilas. Il n’oublierait pas de rencontrer les religieuses du couvent pour faire dire des messes et il trouverait un sculpteur pour orner la tombe d’angelots de marbre pour que la petite fille ne se sente plus seule.

Pour prolonger l’entretien, Max accepta de partager la joue de bœuf en carbonade aromatisée à la bière et au genièvre avec Antoine.

Entre deux bouchées, il lui demanda négligemment pourquoi il avait mis la photo des communiants en évidence sur son buffet, ce à quoi Antoine répondit qu’il avait pris cette photo et l’avait mise à l’honneur parce que son neveu Alain participait à la cérémonie.

Il est en premier plan, remarqua-t-il car il était major au catéchisme et ses parents l’avaient même inscrit au petit séminaire, pensant qu’il pourrait être un bon curé de village.

Max se souvint alors de cet Alain. Il avait l’agilité d’un chimpanzé pour grimper aux arbres et il accompagnait son père dans les combats de coqs clandestins puisque sa famille entretenait un champion.

Son père était mineur de fond mais il avait une seconde vie : le management de ce coq de combat , l’élevage et le dressage de pigeons voyageurs et l’entretien d’un splendide jardin potager tandis que son épouse, Helena, originaire de Pologne, travaillait au vernissage de la fabrique de meubles du village, arrondissant son salaire en servant de palefrenier à Marcel, le riche fermier de leur rue.

C’est un microcosme à explorer se dit Max.

S’il parvenait à trouver un lien entre ces personnes qui vivaient sous le sceau des interdits, des non-dits et des rancœurs avec la petite fille, il découvrirait peut-être une piste qui le conduirait à l’assassin.

Il remercia chaleureusement le forgeron et s’en retourna chez lui, décidé à réfléchir et à établir des ponts ou des passerelles entre ces deux mondes totalement séparés et clivés, d’un côté un monde bourgeois, de l’autre un monde ouvrier totalement déconnecté des riches habitants de la commune.

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