vendredi 23 juin 2023

Les archives de La Voix du Nord


De retour chez lui, Max trouva la cuisine fleurant bon le laurier, le thym et les baies de genièvre.

Angèle avait préparé un pot au feu et une tarte aux pruneaux. Max fit un bouillon aux perles du Japon et le savoura avant de manger quelques morceaux de jarret de veau et des légumes printaniers.

Il regretta l’absence d’Angèle avant de se couper une tranche de tarte à la crème de pruneaux que l’on réservait habituellement pour les jours de ducasse.

Des souvenirs lui revinrent à la mémoire, les fêtes de Gayant qui étaient le clou de la ville de Douai dont il avait fréquenté le lycée.

Antoine avait forgé l’épée du géant et il se souvint de l’avoir examinée en reproduction miniature dans la cuisine pour s’assurer que la poignée n’arborait pas les ciselures du poignard de style oriental qui avait frappé la malheureuse Elisabeth.

Sa pensée vagabonda et il se dit que l’assassin devait appartenir à un monde raffiné pour avoir possédé une arme de ce style.

Il pensa que sa prochaine investigation le conduirait aux archives. Il avait hâte de lire les coupures de presse relatives à ce meurtre singulier et détestable.

S’en prendre ainsi à une petite fille était le signe d’un manque total de morale et de respect de l’innocence.

Personne, au village, n’avait semblé au désespoir tant les clivages entre les deux mondes étaient puissants.

Max avait vécu dans une sorte de léthargie après le décès tragique de la petite fille qu’il portait en son cœur et il avait été soulagé d’apprendre la mutation de son père dans une autre commune pour un poste municipal. Leur ville désormais serait au cœur d’un pays minier, fief d’Usinor, de ses hauts fourneaux, de son laminoir et de ses célèbres corons.

«  Je te le jure, Elisabeth, je saurai qui t’a planté ce poignard dans le cœur » murmura-t-il et il fit le serment de ne pas laisser ce crime impuni.

Le lendemain, il prépara son café, se coupa quelques tranches de pain brioché et partit vers la ville voisine de Marchiennes où il demanda à consulter les archives.

Confortablement installé dans une belle salle impressionnante par son silence et sa clarté, il lut tous les articles de presse concernant le meurtre qui avaient été écrits à l’époque et il constata, non sans surprise et indignation, que la mort tragique de la petite fille au visage d’ange n’avait pas particulièrement intéressé les journalistes locaux.

Ils semblaient préoccupés par le fait de ne pas déplaire à la famille de l’enfant et le souci de ne jeter aucun voile de suspicion sur la belle entreprise dont le père d’Elisabeth était le directeur.

Au final, chacun sembla soulagé lorsque le commandant de gendarmerie jeta l’éponge, clôturant l’enquête sur un constat d’impuissance.

Toutes les pistes n’ayant conduit à la moindre interprétation du déroulé des faits, on se tourna vers un sujet porteur de rêve, l’élection de Miss Picardie qui deviendrait peut-être une Miss France à la vie idéale.

Max ne prit pas beaucoup de notes, remarquant simplement que l’éloge de la Belle Jardinière l’emportait sur les éléments succincts de l’enquête.

Il conclut alors que ses prochaines recherches consisteraient à mener des investigations sur la Belle Jardinière et ses dirigeants.

Le meurtrier se trouvait-il au sein de l’entreprise qui permettait à de nombreux salariés de connaître une vie acceptable en ces temps de lendemain de guerre ? Avait-on sacrifié la mémoire d’Elisabeth au nom de l’intérêt régional ?

En remuant toutes ces perspectives, Max se dirigea vers la baraque à frites qui trônait sur la place de Marchiennes.

Les frites étaient délicieuses et accompagnaient une magnifique andouillette de Cambrai, moelleuse à souhait.

Cet excellent repas sur le pouce achevé, Max s’installa dans l’estaminet le plus proche, pimpant à souhait, orné d’une magnifique verrière et de représentations féminines avenantes en fine porcelaine pour habiller les murs peints en beige nacré.

Il commanda une part de tarte au sucre et un cappuccino puis son esprit prit le large, le ramenant, une fois de plus, à la petite fille oubliée.

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