Le rêve de Priscilla

En se penchant sur les eaux vives de la rivière où Priscilla comptait rincer le linge préalablement blanchi et frotté au savon noir qui reposait dans une corbeille, la jeune fille crut apercevoir le visage d’une ondine.

Afin d’authentifier la féerique apparition, elle plongea les mains dans le courant. Bien mal li en prit car elle fut happée par l’ondine qui l’entraîna au fond des eaux.

Priscilla se réveilla dans une jolie suite nacrée, ornée de perles, de coquillages et de duvet d’oie sauvage. La soie, le satin, des draperies en madras et des tapis persans complétaient la panoplie luxueuse de sa nouvelle demeure.

Des naïades lui préparèrent un bain parfumé à l’aloe vera, la massèrent ensuite à l’huile de noix de coco et l’aidèrent à revêtir une somptueuse robe en soie rose ornée de papillons d’or.

Un génie des eaux brossa ses longs cheveux pour en faire une torsade qu’il orna de perles et de diamants.

Il la conduisit dans une salle d’apparat et l’installa dans un fauteuil capitonné de velours pourpre.

Le grand génie fluvial dont les longs cheveux étaient ceints d’une couronne royale fit une entrée spectaculaire, chaque pied chevauchant le dos d’un dauphin.

Délivrés dès qu’il prit place sur son trône jouxtant le fauteuil de Priscilla, les dauphins rejoignirent la mer proche de l’estuaire de la rivière où la jeune fille, il y a quelques heures, comptait mener à bien à sa tâche de lavandière.

Une ronde de mets délicieux aux saveurs marines enchanta les convives.

Timbales de fruits de mer, poissons délicats cuits en papillotes, accompagnés par une sauce aux algues, toasts aux œufs d’esturgeon et sabayon à l’écume de rose furent dégustés dans un silence propre aux gourmets.

Après le dessert, le génie proposa à Priscilla de devenir son épouse.

«  Vous êtes si belle que l’entretien du linge de votre village, si noble soit-il, est une insulte aux dieux de l’amour.

A mes côtés, vous règnerez sur un univers fluvial et vous aurez pour dames de compagnie les plus jolies naïades de ma suite. Votre vie sera agréable et nous entreprendrons de beaux et longs voyages autour du monde pour recueillir les innombrables beautés qui s’y cachent ».

Le génie s’approcha de Priscilla, posa ses lèvres délicatement sur les siennes et c’est au moment où ils allaient s’unir avec la tendresse d’un couple royal que la jeune fille se retrouva, étourdie, allongée sur l’herbe, près de la corbeille de linge qu’elle s’apprêtait à rincer dans les eaux vives de la rivière.

Alors qu’elle lançait un drap dans le courant, une vouivre l’avait piquée, la plongeant dans un sommeil profond.

«  Tout cela n’était donc qu’un rêve » soupira la jeune fille.

« Pas tout à fait, ma douce Priscilla » dit la vouivre en se dépouillant de son enveloppe serpentine pour se révéler au grand jour sous la forme d’un prince.

« Une méchante fée m’avait jeté un sort et transformé en vouivre ; seul le baiser d’une jeune fille pure pouvait briser l’enchantement. J’ai réussi à endosser le costume du génie de la rivière pour parvenir à ma délivrance. Chère Priscilla, ce que le génie des eaux vous a dit n’est que la quintessence de ce que je ressens pour vous. Alors je vous pose à nouveau la question : voulez-vous m’épouser » ?

Le doux regard de Priscilla fut sa réponse et les deux amants marchèrent le long de la rivière avant de s’installer dans le palais du prince Olivier du Roncier, noble descendant du comte mort au combat à Roncevaux auprès de son ami Roland.

Priscilla tint cependant à rincer le linge du village. Des jeunes filles l’emportèrent après une gratification de louis d’or et  de présents.

On les assura qu’elles ne seraient pas oubliées lors des noces et elles partirent colporter la bonne nouvelle, rêvant de prendre la suite de la lavandière qui avait miraculeusement trouvé le bonheur.