vendredi 16 juin 2023

Le retour du chevalier sans nom


Chevauchant un destrier portant l’étoile des Hospitaliers de Jérusalem, un chevalier dont le heaume cabossé portait les stigmates de l’intensité des combats éperonnait en douceur sa monture qui semblait connaître le chemin menant à son château.

Après avoir reçu un coup qui aurait pu lui fendre le crâne si le forgeron de son domaine n’avait pas rivalisé de talent avec le dieu Vulcain, le chevalier, sous le choc de la commotion avait perdu son identité et ses repères.

Joyau, son cheval, cheminait paisiblement, apparemment sûr de son itinéraire.

Du haut de son donjon, comme chaque jour, Dame Brunehilde guettait le retour de son époux.

En ce lundi de Pentecôte, elle crut au miracle en apercevant un chevalier dont la stature et la cuirasse paraissaient être celles de son mari.

Son attitude était étrange : il semblait accablé par le poids de la guerre qu’il avait entreprise pour son suzerain, le comte Sailly de Vignacourt.

Dame Brunehilde n’était pas certaine que ce chevalier fût son époux, Bertrand du Hainaut par contre, elle reconnaissait formellement son destrier, Joyau le bien nommé car il avait conduit son maître à de nombreuses victoires, esquivant le choc des ennemis avec une adresse remarquable.

Dame Brunehilde fit baisser le pont levis, se para de ses plus beaux atours et le voile de son hennin flottant au vent, escortée par Flore et Isabeau, ses dames de compagnie courut accueillir le chevalier.

Son cousin Louis des Forges, gardien du château en l’absence du seigneur veillait à ce que ces dames ne courent aucun danger.

Le chevalier mit pied à terre, baisa la main de Brunehilde et tomba sur le sol, évanoui.

On le transporta dans sa chambre. Débarrassé de son heaume et de sa cuirasse, il apparut amaigri.

Ses joues creusées, sillonnées de rides témoignaient des souffrances endurées lors de combats qu’on s’imaginait d’une grande rudesse.

Une cicatrice qui lui barrait le torse laissait à penser qu’il avait reçu un coup de sabre. Apparemment il s’en était fallu de peu que ce ne fût une blessure mortelle car elle était proche du cœur.

Son valet d’épée laissé au logis pour veiller sur Dame Brunehilde lava son corps martyrisé en utilisant des linges fins imbibés d’eau chaude, d’huiles essentielles et de parfums.

L’alcôve fermée, il dormit trois jours et trois nuits.

Clotilde, la jeune gouvernante, assista à son réveil.

«  Vous voilà de retour parmi nous Messire » dit-elle chaleureusement lorsque le chevalier ouvrit les yeux.

«  Etes –vous ma Dame lui dit le chevalier. Voyez-vous, si tel est le cas, je dois vous avouer que je ne sais plus qui je suis. Mon cheval m’a conduit auprès de vous ».

Clotilde lui révéla que selon sa maîtresse, son épouse, il se nommait Bertrand du Hainaut, qu’il était parti guerroyer en Terre Sainte et qu’il avait dû subir un choc sur la tête pour avoir ainsi perdu la notion de son identité.

«  Permettez-moi de demeurer le chevalier sans nom jusqu’à ce que la mémoire fuse dans mon cerveau » répondit-il.

Clotilde le quitta, lui promettant de tout mettre en œuvre pour qu’il redevienne le fier seigneur que tous admiraient.

Théodora, la cuisinière, avait préparé un mets de choix pour le réveil du maître, un gâteau à la broche riche en beurre, en sucre et en œufs.

Elle fit porter une part de ce gâteau royal ainsi qu’une coupe de crème à la réglisse. Un hanap de cervoise fleurant bon le miel était destiné à donner au seigneur le coup de fouet final.

Cet en-cas riche en protides et en glucides rendit au chevalier un peu de sa vigueur perdue.

Odilon et Olivier, ses compagnons, l’aidèrent à faire une toilette complète et soignée. Un peu étourdi encore, il se vêtit d’une tenue élégante composée d’une chemise brodée par son épouse, d’un haut-de-chausses seyant et confortable et chaussa des poulaines en velours pourpre qui détendirent considérablement ses pieds échauffés et meurtris par le port de bottes de combat, ses inséparables durant les affrontements contre l’ennemi.

Odilon et Olivier se tinrent à une distance respectable, prêts à intervenir si leur seigneur connaissait une défaillance.

Le chevalier se rendit dans la salle d’apparat où flambait un bon feu destiné à lui redonner vigueur et couleurs.

Brunehilde l’y attendait. Le chevalier sembla la reconnaître en déposant un tendre baiser sur ses lèvres.

Les époux prirent place dans un sofa que Bertrand avait fait parvenir au château depuis la Terre Sainte.

Côte à côte, ils ne savaient que dire. Bertrand prit la main de sa femme et la plaça avec douceur dans la sienne, espérant qu’un déclic salvateur se produise en lui rendant sa mémoire perdue.

On annonça des visiteurs. Ils venaient de très loin et apportaient des cadeaux précieux, ballots de soie et de satin, or et pierreries, du marbre, des arbres, oliviers et rosiers entre autres pour constituer un jardin d’amour à l’orientale.

En voyant ces émissaires de paix et leurs présents, Bertrand retrouva ses esprits.

Ils avaient tant guerroyé et s’étaient tellement affrontés dans des combats sans merci que le prince Noureddine, son vizir Azzedine et ses compagnons d’armes, Chérif et Aziz, étaient devenus amis après tous ces assauts répétés.

Un festin réunit tout ce beau monde : Gigot à la broche, fèves à la crème, chou farci au hachis de chevreuil et poêlée de champignons, truites cuites en papillotes, fromages locaux et pour terminer, des fruits rafraîchis, des tartelettes à la crème et aux amandes, des gâteaux en gelée de fruit, poire, pomme et rhubarbe. Mokas et couronnes briochées fourrées à la frangipane mirent un demi-point final à la ronde des desserts dont le clou suscita l’admiration de tous : une pièce montée de gâteaux de Savoie et de choux à la crème nappés de caramel et de chocolat, étoffée par une crème délicate aux fruits des bois emporta tous les suffrages.

Des hanaps de cervoise, de cidre et d’eau pétillante à la rose et à l’orgeat rafraîchirent les gosiers échauffés par toutes ces victuailles de choix.

En parfaite maîtresse de maison, Brunehilde avait fait préparer des chambres pour le prince et son escorte.

On se quitta avec de multiples témoignages d’amitié et Brunehilde attendit respectueusement que son époux lui demande de l’accompagner pour se rendre dans leur chambre nuptiale.

Bertrand mit un terme au suspense en prenant tendrement la main de son épouse.

«  Acceptez-vous de partager ma couche, ma mie » lui dit-il d’une voix caressante.

Brunehilde rayonnante d’un bonheur qu’elle croyait perdu à tout jamais leva vers son mari un visage lumineux.

Ils retrouvèrent les chemins de l’amour qui ne s’oublient jamais et dormirent enlacés jusqu’à l’aube.

Le prince et ses compagnons mirent tout en œuvre pour que le jardin d’amour à l’orientale soit une totale réussite.

Après l’inauguration de cette merveille destinée à établir un trait d’union entre l’ Orient et l’Occident, Théodora ayant à nouveau fait preuve de talent gastronomique, le prince et ses amis prirent le chemin du retour, heureux d’avoir rendu à leur frère d’armes sa mémoire, son nom et le sens des valeurs humanistes qu’ils avaient développées dans cette Terre Sainte mille fois bénie.

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