dimanche 30 juin 2024

Une fée pas comme les autres

 

 

Mon nom est Melancholia. Je suis la fée des exclus qui fuient les guerres et la misère.

Avec mon tambourin et les grelots de mes bracelets de cheville, ma chevelure éparse, cascadant sur ma robe gitane, je donne le rythme aux femmes et aux enfants dont le regard erre sur les colonnes tristes et hagardes.

Je chante les mélopées des pays oubliés, plongés dans l’obscure ignorance et je leur offre les rêves des contrées qui ont vaincu les dragons noirs cracheurs de feu qui génèrent la mort. J’appelle à notre secours les fées des vallées riantes où coulent les rivières sur les galets d’or fin.

Elles nous apportent du pain, de la brioche, des fruits succulents et des petits gâteaux en forme de cœur.

Nous avons, de plus, des capes de laine fine et des vêtements amples aux couleurs vives.

Ainsi intégrée dans ces colonnes, je redonne l’espoir et nous allons vers des ailleurs chaleureux qui offriront à tous le bonheur de renaître dans un pays aux couleurs de l’arc-en-ciel. 


Au pays de Cendrillon

 

 

 

Lorsque le carrosse d’or fit son entrée dans le parc du palais de Cendrillon, traîné par six chevaux pommelés, les laquais eurent le souffle coupé : qui allait descendre de cet attelage princier ? Aspirés par un tourbillon ocre et bleu, ils furent emportés dans une autre dimension et ne surent jamais qu’un Ibis royal avait descendu le marchepied déployé par des tourterelles.

L’oiseau fit une entrée triomphale dans la salle de bal où les couples valsaient à la lueur des flambeaux. Avisant une cigogne qui faisait tapisserie, le prince, car c’en était sûrement un, s’inclina auprès de la cavalière et ils dansèrent avec tant de grâce qu’il se forma spontanément une ronde pour les admirer.

L’arrière-petite fille de Cendrillon pour qui cette soirée était donnée fut heureuse de cet intermède qui lui permit de s’éclipser dans le parc. Amoureuse de la poésie et des belles lettres, elle n’était pas d’humeur à subir le marivaudage des nobles de la contrée qui songeaient surtout à faire main basse sur son bel héritage.

Brillant au clair de lune, une énorme citrouille évidée et transformée en habitacle lui donna le goût du voyage. Elle s’installa et ne fut pas surprise de constater qu’un mouvement était impulsé. Elle ferma les yeux et se laissa entraîner au gré des vents et de l’allure des chevaux qui tenaient à la fois du griffon et de la licorne.

Lorsque la sensation de balancelle prit fin, elle regarda autour d’elle et découvrit un paysage marin. Une barque était amarrée sur le rivage. Elle s’y assit et attendit que le marin pilote hisse la voile et prenne le large, ce qu’il fit après s’être délesté de la grande cape qui l’enveloppait, lui donnant la silhouette de Corto Maltese. Soraya, la jolie princesse amoureuse des poètes, observa les étoiles, soulagée à la pensée d’être libre. Mentalement elle écrivit de nombreuses pages qui se dispersèrent au gré des vents, s’incrustant dans la nacre des coquillages.

 Pendant ce temps, la fête achevée, les couples appelèrent leurs domestiques, exigeant que les attelages soient préparés au plus vite. Chacun s’étonna en voyant une énorme patache en forme de citrouille s’étaler dans la cour. On leur avait parlé d’un carrosse d’or et chacun déplorait de ne pas avoir vu la merveille qu’on leur avait décrite.

Le magnifique couple formé par l’Ibis et la cigogne prit place dans la citrouille qui s’étira pour devenir carrosse sous les yeux ébahis de la cour. Il s’agissait assurément d’or pur car sous les éclats de la lune, l’étrange véhicule étincelait, envoyant à la ronde des feux flamboyant comme autant de fusées.

Les six chevaux pommelés et leurs cochers se détachèrent dans un halo argenté et l’attelage partit en majesté.

Alors que tous étaient sous l’effet de l’enchantement, la nourrice sortit, les cheveux dénoués et les mains tremblantes : la princesse, leur belle Soraya, la jeune fille pour qui on avait donné ce bal avait disparu et il ne restait rien d’elle, pas même une pantoufle de verre.

Maudits soient ce carrosse et ce couple d’oiseaux venus d’ailleurs ! La curiosité les avait tous aveuglés ! Personne n’avait signalé la disparition de la princesse, ce qui relevait de la faute diplomatique. Occupée à régler le protocole du coucher de la princesse, elle-même participait de la coupable négligence et elle n’aurait pas le moindre répit jusqu’au retour du joyau du royaume.

Son honneur mis en cause, le sénéchal, garant de la sécurité du palais dépêcha une escouade de voltigeurs à la poursuite du carrosse suspect. Un carrosse d’or ! Ce seul élément aurait dû leur paraître étrange. De plus, le sénéchal constitua plusieurs escadrons afin qu’ils fouillent méthodiquement les moindres recoins du royaume pour retrouver la princesse héritière.

Un jeune homme modeste, de petite noblesse, qui avait été invité au bal pour ne pas afficher de mépris envers ses ancêtres insista pour participer aux recherches. Il n’avait pas dansé de toute la soirée, attendant patiemment que la princesse accepte de lui accorder sa main pour un quadrille mais elle avait mystérieusement disparu et chacun avait tenté sa chance auprès d’une belle ou s’était contenté d’observer le couple fabuleux formé par l’ibis royal et la cigogne.

Lorenzo, tel était le nom du jeune homme, fut accepté par une escouade de cavaliers, heureux de se voir adjoindre une personne motivée. On lui offrit un cheval et tous partirent sans tarder.

Pendant ce temps, bercée par le roulis des vagues, la princesse poursuivait son rêve. Elle fut un instant distraite par l’apparition, à l’horizon, d’énormes rochers. Il y en avait un qui avait la forme d’une lyre et l’autre ressemblait, à s’y méprendre, à un énorme parchemin. Le courant entraînait la barque inexorablement vers ce chenal improvisé en pleine mer, rendu dangereux par son étroitesse. Sans se retourner, le marin jeta par-dessus son épaule une étoffe fine qui couvrit sa passagère, lui ôtant ainsi momentanément la vue. Dans ce flou où orchestraient le fracas des vagues se brisant contre les récifs et les cris des oiseaux que l’on pouvait interpréter comme des sauve-qui-peut, Corto Maltese ou son avatar déploya avec infiniment de force et d’adresse tout son talent et bientôt les énormes rochers ne furent qu’un lointain souvenir. Le murmure des flots refit surface. Soraya se débarrassa de la fine étoffe qui l’avait protégée et renoua avec la poésie de ses pensées.

Elle se promit de broder une cape pour l’étrange jeune homme dont elle ne voyait que le dos, une fois revenue au palais. À cette évocation, elle réalisa soudain que sa nourrice devait être au désespoir. Le remords la submergea, créant en son cœur une rose vivace et pourprée. Cette fleur explosa dans sa poitrine, la propulsant dans un autre monde, terrestre cette fois. Elle marcha avec beaucoup de précaution sur un sol parsemé de minuscules cratères qui contenaient des joyaux à l’état brut, rubis, émeraudes, topazes, saphirs et surtout de magnifiques diamants. Craignant de se blesser car elle portait toujours des chaussures de bal, Soraya fixait le sol, déçue également d’avoir perdu le navigateur qui avait fait battre son cœur jusqu’à l’extrême.

Lorsque les cratères laissèrent la place à une allée de sable fin, elle leva enfin les yeux et découvrit à l’horizon une gigantesque citrouille d’or pur parsemée de motifs cristallins qui semblait faire office de palais. De fait, en s’approchant, au terme d’une longue marche adoucie par un sol meuble propice à la promenade, elle fut accueillie de belle manière par une escorte de jeunes femmes qui se mirent spontanément à son service.

Elle pénétra dans le palais et admira la décoration automnale de chaque pièce. Tables en forme de feuille morte aux blancheurs flamboyantes, chaises et poufs épousant les contours de potirons, potimarrons et courges. Des lueurs orangées se réunissaient en faisceaux et balayaient les contours des salles organisées en rotondes. Soraya fut entraînée dans une suite royale qui lui était destinée. Un tableau où elle apparaissait en un costume féerique ne laissait pas le moindre doute.

Elle se déchaussa et se rendit dans la salle de bains où un jacuzzi la délivra de toute la fatigue accumulée lors de cet incroyable voyage. Des serviettes orangées au sortir du bain parfumé épongèrent son corps qui avait retrouvé toute son élasticité. Deux jeunes filles l’aidèrent à porter un joli costume dont les broderies avaient la finesse et l’éclat de la lune rousse. Ainsi vêtue, Soraya avait la beauté des princesses orientales et resplendissait comme l’astre du rêve poétique. Guidée par un majordome, la jeune aventurière s’assit dans un fauteuil profond et goûta avec plaisir les bouchées gourmandes qu’un cuisinier inventif et talentueux avait créées, feuilletés délicats à la mousse de marron, fondants chocolatés, fruits de saison déguisés, sirops colorés et pétillants, bref un vrai bonheur d’enfance.

Alors qu’elle se restaurait, Soraya ne s’était pas rendu compte que la pièce avait curieusement rétréci. Les murs se rapprochèrent, formant une sphère qui pulvérisa l’ensemble de la structure. La jeune fille fut propulsée dans les airs, à l’intérieur d’une nacelle qui s’éleva à la hauteur des nuages. Pendant ce temps, les cavaliers avaient l’impression de tourner en rond dans un univers étrange où les sortilèges tenaient lieu de repères géographiques. Tel buisson rencontré au détour d’un chemin explosait en myriades d’oiseaux qui obscurcissaient les nuées, telle rivière serpentant sur les pierres au soleil s’asséchait brusquement, ouvrant sur un cratère où le feu menaçait de brûler les sabots des juments intrépides. Fleurs et prairies devenaient tout à coup rocs et crevasses dont les angles friables piégeaient les jambes des alezans. Lorenzo descendit de cheval et prit la tête de l'escorte, à pied, volant littéralement de roche en roche, son poignard lui servant de parade pour éviter des oiseaux agressifs qui cherchaient à l’aveugler. Il concentrait ainsi sur sa personne toutes les nuisances fomentées par un redoutable magicien.

Ils finirent par arriver dans une plaine et virent miroiter à l’horizon l’or pur serti de pierreries du fameux carrosse qui semblait lié à la disparition de la princesse.

Ils arrivèrent à sa hauteur après une petite heure de marche et juste au moment où Lorenzo s’apprêtait à ouvrir la porte du carrosse, les cavaliers ayant tous mis pied à terre par mesure de prudence, le carrosse explosa en un jaillissement de pépites et de joyaux. Chacun attrapa au vol de quoi vivre de façon confortable le reste de ses jours, à l’exception de Lorenzo, désespéré de perdre le relais qui allait le conduire à sa bien aimée.  Mais c’est alors que la situation semblait tragique qu’il se produisit un incroyable scénario.

Un ballon balaya l’horizon bleu et atterrit aux pieds du jeune homme et de son escorte. Soraya en descendit, les joues roses, vêtue d’une longue robe couleur d’orient.

Elle accepta la fougueuse étreinte du beau Lorenzo, regrettant néanmoins son navigateur de rêve. Un oiseau bleu se percha sur son épaule et lui murmura : « C’est le sort de toutes les jeunes filles. Elles rêvent d’un bel inconnu mais finissent toujours par épouser un proche ami, le seul amour véritable ».

L’oiseau s’envola sur l’épaule de Lorenzo, effleura sa joue de ses plumes soyeuses et  rejoignit enfin ses compagnes dans le beau ciel d’automne, bleu et or.

L’escorte victorieuse revint au palais, enrichie de la présence lumineuse de la princesse et de son amant.

On ne sut jamais quel rôle l’Ibis royal avait joué dans cette pièce charmante. Certains oiseaux prétendirent qu’il avait servi de révélateur et d’initiateur mystérieux aux joies de l’aventure sans laquelle les jeunes filles, princesses ou non, ne s’engagent pas dans la voie amoureuse.

Soraya épousa Lorenzo, mit des enfants au monde mais ne quitta jamais totalement une pièce qu’elle avait fait aménager où abondaient livres, parchemins, secrétaires précieux aux multiples tiroirs. Un jour, elle se décida à raconter l’histoire de celui dont elle ne savait rien, le navigateur qui avait la silhouette de Corto Maltese et à dater de ce jour, elle fut véritablement apaisée et consciente de son bonheur auprès de son époux.


 

samedi 29 juin 2024

Lettre à Petit Jour

 


 

 

Mon cher fils, j’ai éprouvé de véritables moments de bonheur en concevant les contes. Je les ai écrits pour toi. J’espère que tu les liras avec plaisir et qu’ils compenseront mon absence. J’aimerais rester toujours à tes côtés et te voir grandir jusqu’à l’âge d’homme en compagnie de ta maman que je chéris fortement mais je sais qu’un jour je devrai assumer mon destin et vous quitter, pour mon plus grand chagrin.

Je suis né sous une étrange étoile. Ma mère, la reine Diamant a dû me confier aux flots. Je suis arrivé dans une nacelle, richement vêtu de dentelles et de la laine la plus fine, sur un nid de rubis en un lointain rivage où régnait le terrible Griffe d’Argent, une créature qui tenait de l’homme et de l’ours, sans nom. Griffe d’Argent, sensible à l’éclat des rubis et à mon teint frais me nomma Flamboyant et sans rien savoir des circonstances de ma naissance, me fit donner la meilleure éducation de son royaume.

J’appris à monter à cheval, à tenir une épée et à combattre mais aussi à lire, écrire, compter et étudier les langues anciennes et modernes, à philosopher également.

Puis lorsqu’il estima que je savais tout ce qu’il était possible d’apprendre dans les livres et dans une salle d’armes, il m’envoya à la recherche de mon destin. Je finis par faire la connaissance de ma mère, la reine Diamant, belle et sage et apprendre le secret de ma naissance. Je t’épargne les détails, cher enfant mais sache que ma mère ne m’avait éloigné que pour mon bien. Quant à mon père, il s’agissait hélas ! d’un monstre humain sans cœur nommé Malforza. La rencontre de ma mère et de cet être maudit n’était pas de nature amoureuse mais bien le résultat d’un fait de guerre. J’appris peu à peu que ma route semblait tracée et que l’on attendait de moi l’exécution du tyran. Dès lors, tous mes efforts consistèrent à ourdir des plans guerriers pour que le royaume de ma mère retrouve la sérénité.

Les rubis de mon berceau provenaient du sang de ma grand-mère, exécutée par un tyran sanguinaire de la lignée des Malforza. Ils possèdent des vertus magiques. J’en ai déjà fait usage avec discernement. J’en laisserai une poignée à ta mère lorsque je partirai. De cette manière, vous pourrez lutter contre les forces du mal. Après avoir exécuté des plans guerriers, j’ai eu l’impression de devenir aussi nuisible que le tyran dont je voulais me défaire. C’est pourquoi j’ai fui la cour de la reine afin de retrouver le jeune homme pur que j’étais autrefois. C’est ainsi que j’ai rencontré ta chère maman et qu’elle m’est apparue comme le cadeau le plus précieux de ma vie. Ensuite tu es venu au monde, si beau, si charmant que nous n’avons pas pu te nommer. Nous t’avons appelé Petit Jour en attendant le nom définitif.

Dans la mesure où je suis à présent contraint de repartir au combat, j’ai décidé de te donner deux noms en espérant que tu n’en porteras qu’un, le second. Le premier est Soleil d’Or. J’ai choisi ce nom pour être celui que tu porteras dans les batailles, si tu es contraint de passer par cette pénible épreuve. Porté par mille poitrines haletantes, ce nom éclatera comme un chant de victoire et te donnera la force nécessaire de tailler sans merci les monstres venus troubler la quiétude d’un royaume aux valeurs éprouvées.

Aussi beau qu’il soit, je souhaite ardemment que tu ne portes jamais ce nom et qu’il te suffise d’être nommé Aymery, prénom que je trouve aimable et avenant, bon pour un temps de paix.

Tu te demanderas sans doute en lisant cette lettre pourquoi j’ai tant guerroyé puisque je prétends ne pas aimer la guerre. C’est très simple, mon fils. La guerre est la pire invention humaine. Souvent, on s’y laisse prendre parce que votre entourage vous y pousse. On prétend qu’il n’y a pas d’autre issue, que cette guerre est juste et qu’il faut la conduire jusqu’à la victoire. Mais une fois qu’on arrive sur le champ de bataille, on est écœuré par l’odeur du sang et la vue des cadavres. Néanmoins on n’a pas le temps de philosopher. Devant soi, il y a des êtres venimeux qui ne pensent qu’à vous abattre. On est donc obligé d’agir de la même façon si on veut rester en vie. Bien sûr, il y a tout un décorum propice à vous donner du courage, des oriflammes brodées par les dames, une belle armure, des armes affûtées et les fameux vivats exprimés pour donner courage aux princes. Me concernant, c’était « Flamboyant le Magnifique » et tous ces cris poussés avec ferveur donnaient des ailes. Ensuite, lorsqu’on revenait à la nuit tombée sur le champ de bataille, on entendait le murmure des mourants et l’on voyait, à la lueur du soleil couchant, un amoncellement de cadavres, hommes et chevaux réunis dans la mort et je peux t’assurer que le souvenir glorieux d’un nom prononcé avec ferveur pour conduire à la victoire se désagrégeait pour flotter sur la terre comme un chant de malheur.

La guerre n’est jamais juste, mon cher enfant, puisqu’elle conduit irrémédiablement des êtres à mourir avant leur heure. Néanmoins que faire lorsque des êtres féroces décident de tuer des innocents pour le plaisir ou pour s’emparer de leurs richesses ? Je te laisse ce paradoxe pour la méditation.

Comme j’aimerais rester à tes côtés pour débattre de tous les mystères du monde. Mais le temps m’est compté. La reine m’a fait parvenir un destrier, preuve que je dois rejoindre son royaume pour en finir avec le tyran qui, m’a-t-on dit, fait tuer çà et là de pauvres familles travaillant dans les forêts et dans les champs.

Je dois partir, laissant derrière moi les amours de ma vie.

Adieu, cher enfant, je t’emporte dans mon cœur !

            Ton père Flamboyant, dit le Magnifique.