lundi 17 juin 2024

Sortilège en Brocéliande


 

 


Heureux à la perspective d’enchanter Rozenn grâce aux solos réservés au violon dans sa symphonie La Chanson de Rozenn, Fidélio dévalait la pente du Val-sans-Retour pour activer le heurtoir de la porte gravée dans sa mémoire.

Cependant, rien ne se passa comme il l’avait souhaité.

La porte s’ouvrit pour laisser entrevoir un couple d’un certain âge. Le violoniste demanda à parler à Rozenn d’une voix blanche. L’épouse lui répondit qu’ils ne l’avaient pas connue et qu’ils avaient acheté cette maison pour connaître de beaux jours lors de leur retraite.

Au comble de l’étonnement, Fidélio se rendit au bar du village mais là encore, il se heurta à un changement inédit.

Ce n’était plus le même propriétaire, on ne servait plus de plats savoureux. Le patron se contentait de proposer des boissons traditionnelles, bière, limonade et café.

Célestin, le propriétaire de l’estaminet prit en considération l’accablement de son client et lui offrit une liqueur de la région, le Bouchinot aux essences de plantes et au caramel. Ce breuvage apportait du réconfort aux âmes esseulées disait-on.

Célestin respecta le silence du jeune homme et lui souhaita une bonne journée.

En quittant le bar, Fidélio aperçut son reflet dans un miroir et ne se reconnut pas. Il semblait avoir dix ans de plus que la veille, une énorme ride barrait son front et sa silhouette svelte s’était étoffée, lui donnant l’allure d’un visiteur commercial.

Du reste, son violon avait disparu et son élégant bagage s’était mué en un sac de toile grossière.

On m’avait bien recommandé de ne pas m’aventurer dans le Val-sans-Retour pensa-t-il amèrement ; les fées semblent s’être joué de moi.

Il me faut trouver l’antidote à cet envoûtement.

Il marcha au hasard dans les rues de Tréhorenteuc mais ne vit personne à qui il puisse se confier.

Un autocar était prêt à quitter le village. Fidélio prit un billet pour une destination lointaine.

Il s’endormit et rêva qu’il était poursuivi par un dragon qui tentait de l’encercler. Il croyait sentir des langues de feu sur son cou.

Lorsqu’il se réveilla, ce fut pour s’entendre dire qu’il était arrivé à destination.

La nuit et le brouillard l’empêchaient de voir distinctement les lieux qui lui rendraient peut-être son apparence première.

Le bruit de ses pas sur les pavés résonnait à la manière d’un tambour de guerre.

Il finit par distinguer une lueur dans le lointain. Il se dirigea vers ce qui serait éventuellement un refuge.

Lorsqu’il mania le heurtoir, ce fut avec une certaine appréhension.

La porte s’ouvrit et le sourire de Rozenn lui apparut.

« Vous en avez mis du temps pour me revenir » ! dit-elle.

Le sortilège était manifestement brisé car le violon réapparut dans son étui élégant.

Retrouvant sa jeunesse et son charme, Fidélio irradiait de bonheur.

Il baisa la main de sa dame de cœur et se retrouva en sa compagnie dans la jolie maison de leur rencontre.

Par enchantement, il était revenu à son point de départ. Tréhorenteuc et sa belle lui étaient rendus.

Rozenn lui servit un repas dont elle avait le secret, timbale de riz aux fruits de mer, tourte de poulet, sorbet à la groseille.

Elle le servit prestement puis le conduisit ensuite dans une chambre d’ami confortable et chaleureuse.

Fidélio se glissa dans les draps dont il apprécia le parfum et dormit comme un ange jusqu’au lendemain.

«  Vous avez tout simplement été ensorcelé par la fée Morgane lui dit Rozenn en lui servant le café. Elle aime jouer des tours aux hommes qui lui plaisent. Votre cœur pur vous aura sauvé car elle aurait pu vous garder des années en vous coupant du monde ».

Fidélio saisit alors son archet et se mit à jouer un air si beau que les larmes jaillirent des yeux émeraude de Rozenn. Elle se jura de ne pas avoir d’autre homme à ses côtés.

Fidélio était un magnifique compositeur et un interprète de talent. De plus, il était sorti vainqueur des brumes et des sorts jetés par une fée toujours redoutable. Elle prétendait être la maîtresse du Val-sans-Retour et un violoniste avait déjoué ses plans maléfiques pour devenir l’époux de la reine du village, toujours courtisée sans jamais prendre la main d’un amoureux.

Cette fois ,Rozenn aux yeux de mer avait trouvé l’être idéal qui serait son compagnon à l’orée des landes désormais maîtrisées !

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