dimanche 9 juin 2024

Les démons de la nuit

 




Enveloppée par ses ravisseurs dans une longue cape brune à capuche, Madelon passait inaperçue et lorsqu’elle dut marcher, presque à l’aveugle, sur une route fréquentée, personne ne vit en elle une princesse enlevée.

Ses compagnons, vêtus de noir, avaient un air si farouche que personne n’osa les interpeller.

Ils avaient pris la précaution de chausser la jeune fille de bottines lacées qui lui permettaient de marcher facilement.

Ils arrivèrent dans un château couleur de muraille.

La jeune fille fut immédiatement conduite dans ses appartements. Des femmes de chambre la déshabillèrent et lui donnèrent un bain.

Vêtue d’une robe de dentelle noire et chaussée de babouches en cuir souple, elle se restaura en découvrant des mets inconnus, soupe aux algues, œufs mollets à l’encre de seiche, steak tartare et son accompagnement de sauces piquantes et de macédoine de légumes puis un gâteau d’origine slave, la Dacquoise.

«  Ce repas vous a-t-il plu, ma divine » dit un homme à la voix rauque, au visage zébré de balafres, quelque peu effrayant. «  Je vous ai enlevée pour votre bien, je ne voulais pas vous savoir dans les bras de ce comte de Brabant qui m’a affronté une fois, me prenant la prunelle de mes yeux, la douce Pervenche que je fis mourir par empoisonnement pour le punir. Vous, je vous garderai auprès de moi et vous me donnerez de magnifiques héritiers. Je me nomme Igor de la Baltique et par l’épée de mes ancêtres, vous serez mienne à tout jamais ».

L’étrange individu baisa la main de Madelon et disparut comme il était venu, dans un fracas de tonnerre et d’éclairs.

Conformément aux ordres reçus, les servantes du duc des ténèbres servirent à la dame du château une décoction qui contenait de la valériane. Madelon reconnut ce fumet particulier et elle but à petites gorgées cette tisane destinée à l’endormir.

Satisfaites, les servantes la vêtirent pour la nuit et lui enjoignirent de se coucher dans un lit moelleux équipé d’un édredon en plumes d’oies.

En dépit de cette couche propice aux plus beaux rêves, la nuit de Madelon fut cauchemardesque et peuplée de petits démons munis de fourches et de fouets.

Elle se réveilla en sueur et fut heureuse de se plonger dans un bain bouillonnant aromatisé aux fleurs d’églantier.

Vêtue d’une robe lumineuse couleur de safran et chaussée de babouches dorées, elle reçut son geôlier avec l’espoir de se promener au grand air.

Dans le but de séduire sa belle captive autant qu’il le pouvait, Igor de la Baltique avait fait un effort vestimentaire. Vêtu d’un pourpoint rouge et or, chaussé de poulaines couleur rubis, il portait un loup de velours noir pour masquer ses cicatrices.

Madelon eut l’impression de vivre un chapitre du conte La belle et la bête qui l’avait fait vibrer dans son enfance.

Cependant son hôte assimilable à la bête n’avait pas l’attendrissement facile et elle gardait en mémoire l’empoisonnement d’une jeune fille innocente.

Au bras de son hôte, elle se promena dans les jardins du château, remarqua une jolie tonnelle de roses et une immense volière où se promenaient des paons et des oiseaux de toutes sortes.

Madelon sourit au concert spontané offert par les volatiles et émit l’hypothèse que cet ensemble gagnerait à être embelli par un pavillon où l’on pourrait se reposer, lire, écrire ou encore goûter aux délices d’un souper aux chandelles.

«  Il en sera fait selon vos désirs » dit Igor.

Rêvant d’une délicieuse nuit d’amour dans un lieu charmant et propice aux élans fougueux dont il se sentait capable, il ramena Madelon dans ses appartements et se retira afin de donner des ordres aux bâtisseurs de sa suite pour qu’ils réalisent le plus beau pavillon d’amour qui puisse exister, au cœur de son jardin.

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