jeudi 4 mars 2021

Jalousie

 


Confortablement installé dans un bar luxueux de Bamako, Arthur Louis ne parvenait pas à chasser les idées noires qui s’étaient emparées de son esprit brumeux.

Comme il avait aimé cette carrière militaire prônée au Prytanée de La Flèche, avec ses ors et ses faits d’armes et comme elle lui semblait pesante aujourd’hui ! Quelle désillusion !

Où étaient les prises du pont d’Arcole ou les subtilités stratégiques d’une grande bataille, digne de ce nom ?

Ici, dans le désert, la traque des ennemis s’avérait aussi difficile que la poursuite d’un mirage.

Rien n’était clair, tout épousait la courbe du vent, du sable, des lacs et des rivières où derrière chaque visage débonnaire, luisait un adversaire.

On devait se méfier de tout le monde, des femmes, des vieillards, des enfants et naturellement plus encore des hommes !

Arthur n’en pouvait plus et il rêvait d’une autre vie, loin de l’uniforme et de sa tristesse infinie, dans un pays où il serait libre de connaître l’amour.

Alors qu’il était plongé dans ces pensées moroses, il vit, à l’autre bout de la salle, un couple rayonnant.

La femme était magnifique. Une splendeur ! Vêtue et maquillée avec soin et élégance, elle apparaissait comme une déesse de la beauté, capable de rivaliser avec Vénus.

Lorsque son compagnon interpella le serveur pour lui passer commande, Arthur reconnut en ce jeune homme épanoui, heureux, son jumeau, son double à la manière de Musset, Aurélien de Malestroit.

Contrairement à lui, pauvre sot, il n’avait pas opté pour les armes et il avait apparemment fait le bon choix !

Torturé par le démon de la jalousie, Arthur prit soin de dissimuler son visage derrière un énorme bouquet de fleurs qu’il avait voulu, au préalable, faire enlever et prit sa décision en voyant Aurélien se diriger vers les toilettes.

Il surgit derrière lui, l’assomma d’un revers de manche, geste précis dont il était coutumier, le déshabilla rapidement, fit de même, revêtit ses vêtements tandis qu’il l’habillait de son costume d’officier.

Il téléphona à son ordonnance en lui signalant qu’il avait eu un malaise et qu’il fallait venir le chercher, probablement au lavabo, dans le Sélect de Bamako puis il se dirigea, tout sourire, vers la jeune beauté en espérant qu’elle ne remarquerait pas le subterfuge.

Il prit soin de rester dans l’ombre, informa la jeune beauté qu’un imprévu le forçait à la quitter mais il ajouta, retrouvant l’esprit fleuri qui caractérisait jadis les deux amis :

«  Faites ce que nous avions prévu, ma douce. Tous vos désirs seront comblés car vous êtes la femme de ma vie » et c’est sur ces mots qu’il la quitta.

Habitué aux filatures, il resta dans l’encoignure d’un bâtiment, vit son ordonnance emporter son double tout étourdi encore par le choc subi, suivit la jeune femme jusqu’à son domicile, nota son nom et son adresse puis, soulagé et enfin libre, il se rendit dans un quartier populaire, se fit faire des faux papiers d’identité et prit le premier vol pour la Thaïlande où il comptait bien rattraper le temps perdu en dépensant l’argent de la vente de sa maison et de son pactole militaire pour connaître enfin les délices de l’amour !

 

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