samedi 6 août 2011

Soirée brésilienne au Manoir de Beaulieu sur Dordogne

J’ai gardé de mon enfance le goût de suivre les rivières. Comme les saumons, je reviens au berceau. En l’occurrence, en ce mois de février frileux, je suivais la Dordogne. C’est une rivière qui m’a beaucoup impressionnée dans mon enfance. Je vivais alors dans le Nord, dans le Douaisis très précisément. Maman faisait des gaufres et du pain perdu et moi, devoirs achevés, je lisais l’Anneau d’Alma, une histoire qui présentait de manière imagée la jonction de rivières à l’origine de la Dordogne. Il y avait l’âme de la source immortelle nommée Félicia et une méchante sorcière qui la poursuivait pour l’empêcher de réussir sa course. Mais Félicia triomphait de tous les pièges tendus par la sorcière vêtue de noir, au nez crochu et à l’endroit précis où les rivières accomplissaient leur jonction pour devenir la fière et indomptable Dordogne, Félicia disparaissait dans les eaux tumultueuses sous forme d’écume.
Ce tour de magie, cet émerveillement, je l’ai retrouvé en m’asseyant dans un fauteuil au bar-club du Manoir de Beaulieu sur Dordogne. Si le Calypso, cocktail maison proposé par le sommelier n’y était pas étranger, l’envoûtement premier provenait avant tout de la musique et du chant offerts par deux artistes authentiques, l’un à la guitare, l’autre une femme, composé harmonieux d’âme brésilienne et de justesse de ton, à l’invocation mélodieuse.
Pas de falbalas ni de tenue excentrique pour ajouter Dieu sait quoi à un chant folklorique. Non, ici, tout était pur, vrai. On plongeait dans ce Brésil chatoyant aux fleuves exubérants et aux âmes poétiques par la grâce et la pureté d’une voix sans mélange. Aux côtés de sa compagne, l’artiste se retenait, accompagnant dans un même souffle l’âme brésilienne aux mille et une facettes.
Lorsque le signal de passer à table fut donné, je ressentis une sorte de déchirement et c’est presque en aveugle que je gagnai la table qui m’était réservée.
Il ne m’a pas été donné, dans ma jeunesse, la joie de goûter les délices de la haute gastronomie. Je me souviens surtout de déjeuners à base de fraises du jardin écrasées et sucrées à la cassonade, noyées dans du lait froid. Nous y trempions du pain et cela constituait l’essentiel du repas. Mais n’imaginez pas que cette enfance basée sur la frugalité m’empêche d’apprécier un excellent repas à sa juste valeur.
Les véritables gastronomes sont des rêveurs. Ce n’est pas un homard qu’ils dégustent mais tout un océan de saveurs épicées qu’ils peuvent décliner au piano ou à l’harmonica comme le grand Alain Bashung, avec autant de détachement et de poésie lapidaire.
Ce soir-là, le chef n’avait pas dérogé à son excellence coutumière et le menu choisi développa au cours de la soirée la magie d’une cuisine sans faille magistralement présentée.
Je vous livre ce menu et vous invite à le rêver avant de le déguster.

Foie gras mi-cuit en vapeur douce,
Compotée de figues acidulée, fine feuille croustillante de pain aux céréales.

Le Homard simplement rôti,
Topinambours glacés au jus, émulsion de noisettes.

La sélection de fromages affinés de la région.

Croquant aux poires, mousse de riz au lait vanillé,
glace crème brûlée.

Avec une élégance choisie, le maître d’hôtel faisait des apparitions, surveillant avec délicatesse le bon déroulement du service perpétré par une ravissante chef de rang aux gestes précis et au sourire chaleureux. Le service est un art essentiel dans la gastronomie. C’est le point d’orgue de la prestation orchestrée en cuisine, le prolongement de ce désir de plaire et de faire des heureux enfantés sur le piano du chef, aidé par un second et ses commis attentifs à la bonne réalisation des plats pour l’honneur de leur corporation.
Le choix du vin a également une importance décisive. C’est le nec plus ultra du rêve, la touche finale et harmonieuse d’un menu bien composé, ce qui était ici le cas. Après un moka accompagné de douceurs bienvenues, je regagnai ma chambre, un composé de clarté et de confort avec la sobriété d’un décor inspiré par les outils d’antan, une fourche rustique pour rappeler l’inscription du manoir dans un environnement campagnard. Je retrouvai avec émotion les détails que j’avais appréciés dans la salle principale où j’avais déjeuné.
Le nappage impeccable au tomber parfait s’inscrivait dans une salle décorée par des voilages enrubannés. De même que pour un défilé de haute couture, on a d’abord une vue d’ensemble pour ensuite s’attarder aux détails, généralement des flots de rubans, de dentelles et de strass, de même dans une salle de restaurant bien décorée, une fois passé l’émerveillement de la vue générale et de l’appréciation de la table et de la vaisselle de la place où l’on va œuvrer, on observe les détails et l’on songe avec tendresse aux petites mains qui ont préparé, en hors champ, les boucles de rubans qui enferment voilages, serviettes et, dans les chambres, les rideaux. Pleine de toutes ces émotions, touchée par l’attention d’une équipe prête à tout le dévouement pour le simple plaisir d’une clientèle qui devient ainsi nécessairement une amie, je m’endormis et passai une nuit sereine.
Le lendemain, après le petit déjeuner qui était à la hauteur de toutes les prestations déployées, je repris la route sur un air de samba qui me servirait longtemps d’accompagnement poétique et je pensai fortement qu’il me faudrait revenir dans ce composé édénique qui rendait à chacun le charme inégalé de son enfance, en la sublimant.

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