Belle d’amour
Fleurant bon la rose et le jasmin, Belle d’amour, ainsi
nommée pour l’attirance qu’elle exerçait auprès des hommes d’un seul de ses
regards, de son prénom de baptême Ninon, règne sur le cœur de son amant sans
partage.
Modeste malgré cette beauté fatale dont elle aimerait se
défaire, elle travaille, brode et lit sans devenir pour autant une Madame
Bovary qui prendrait les romans pour la réalité et elle se réfugie dans les
bras de son époux comme dans un berceau azuré où naissent les roses.
Chaque jour est marqué pour elle d’une pierre de lune mais
il arriva un soir que l’époux ne rentre pas.
Elle l’attendit toute la nuit, en vain. Les jours suivants
furent marqués par la même incertitude et Belle d’amour commença à avoir des
gestes mécaniques, comme les marionnettes de la foire du trône.
Son travail de blanchisseuse s’en ressentit. Elle brûla
quelques pièces de lingerie délicate et perdit sa place.
Comme Gervaise dans L’Assommoir, mais pour d’autres motifs,
elle perdit un à un presque tous ses charmes et il ne resta bientôt de sa
fabuleuse beauté qu’un souvenir accroché à l’azur de son regard.
Devenir une beauté au passé peut être difficile.
On apprend peu à peu que les sourires que l’on vous
décernait n’étaient pas gratuits et qu’un abandon d’amour était demandé en
retour.
Ninon était taraudée par l’incompréhensible disparition de
son époux.
Elle entreprit mille et une démarches, lança même un appel
désespéré dans une émission destinée au grand public mais son Édouard demeura
introuvable.
Ils étaient pourtant si heureux croyait-elle.
Un jour cependant, alors qu’elle désespérait d’obtenir la
moindre réponse, elle reçut une carte postée de Miami.
Édouard s’excusait mais il disait avoir rencontré le grand
amour. Par ailleurs il lui souhaitait tout le bonheur qu’elle méritait.
Alors Belle d’amour au nom si mal porté à présent, se
dirigea vers son village natal, Audencourt, fit faire des embellissements à la
maison familiale qu’elle occupa.
Elle avait été abandonnée et Ninon se servit de ses
économies pour procéder à des travaux utiles puis elle fit savoir dans le
village qu’elle se tenait à la disposition de chacun pour rendre de menus
services, moyennant quelques pièces ou des produits locaux en échange.
La belle Ninon devint Ninon tout court mais sa maison devint
bientôt le lieu incontournable où se nouaient des amitiés et des amours
naissantes.
Ninon retrouva le goût de la couture, de la broderie, de la
gastronomie et elle devint même la jolie fée d’un jardin qui provoquait l’admiration
de tous.
Ses chrysanthèmes, ses lys et ses rosiers étaient d’une
extraordinaire beauté.
C’était un peu comme si elle avait transféré à ses plantes
le charme qui s’exhalait autrefois de sa personne.
Pas une fête sans que l’on ne fasse appel à ses créations
aussi bien florales que gustatives.
Puis un jour, un certain Amédée frappa à sa porte. Jeune
homme, il l’avait aimée en secret mais le choix d’Édouard avait éteint ses
velléités amoureuses.
Il la retrouvait enfin, libre apparemment et son amour s’était
reconstitué à l’instar d’une pivoine, parfumée et radieuse.
Ninon lui fit remarquer que sa prétendue beauté s’était
évanouie mais Amédée lui prouva en la prenant dans ses bras qu’il existait de
multiples formes de beauté et que la plus merveilleuse venait du cœur.
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