mardi 8 avril 2025

Frissons de soie

 

 

 

«  J’écarte la soie de tes cheveux, ô ma Fleur de Lune, pour parvenir à la source enchantée qui jaillit de ton corps courbé en offrande sous l’arc de mes désirs »…

Clément divagua encore sur ce thème qui visiblement l’enchantait. Les mots coulaient de sa plume comme autant de pépites d’or gisant depuis des années dans le cours des rivières, mises au jour par les orpailleurs.

Devenu chercheur d’or sur l’autel du corps féminin sublimé par son désir, il écrivit longuement, éprouvant un bonheur intense à décrire par le menu ce phantasme d’amour.

Eprouvant alors le besoin de toucher de ses mains un nirvana quotidien, il se lança ensuite dans la préparation de son plat-phare, la langue façon grand-mère, cuite à la perfection, découpée savamment en fines tranches et accompagnées de plusieurs sauces aromatisées soit au madère soit au piment d’Espelette.

Ce travail achevé, il se réserva deux parts et répartit le reste dans des barquettes alimentaires, prit des clichés et mit en ligne sa proposition de vente à prix modéré.

Le téléphone retentit à plusieurs reprises : Mathilde, Clotilde et Victor retinrent fermement le plat et convinrent d’une heure précise pour venir chercher la barquette réservée.

Victor se présenta le premier. C’était un informaticien de haut vol, il aimait la gastronomie, savait cuisiner mais ne disposait pas du temps nécessaire à la réalisation de plats recherchés.

Il goûta la coupelle présentée par Clément, se déclara satisfait, paya sa barquette et partit en laissant un petit cadeau, le livre de sa grand-mère qu’il avait confectionné au fil des années à partir de ses notes.

Clément promit d’exploiter ce filon sacré et il feuilleta le livre, cherchant une recette de pâtisserie qu’il réservait à sa Fleur de Lune tant chérie et déflorée mille et une fois en rêve. Il retint le puits d’amour et se promit d’en faire l’essai.

Il attendit la venue de Mathilde et de Clotilde dont les prénoms résonnaient dans son cœur comme un tambour fleurdelisé aux armes de Psyché, un long voile d’or brodé Fleur de Lune.

Mathilde, une bonne trentaine pétillante, couturière de son état, acheta sa barquette au pas de course car une robe de mariée l’attendait et elle laissa un petit cadeau à son image, un coussinet violine portant quelques épingles à tête d’argent : «  On a toujours besoin d’une épingle » dit-elle en partant, laissant derrière elle un nuage de bonne humeur.

Clotilde portait des tresses blondes et semblait être le reflet de l’épouse royale de Clovis. Elle paraissait fatiguée et demanda la permission de s’asseoir après avoir marché une bonne heure.

Clément espéra trouver une âme-sœur. Il concocta un smoothie vitaminé et l’offrit à la jeune femme qui retrouva des couleurs. Visiblement enchantée heureuse de cet accueil chaleureux, Clotilde ferma un instant les yeux puis retrouvant sa vitalité initiale, goûta le plat, émit un soupir de satisfaction, paya la barquette qu’elle enfouit dans son sac à bento et s’apprêta à repartir dans son foyer.

En guise d’adieu et de remerciement, elle offrit à Clément une poupée de porcelaine costumée à l’ancienne par ses soins. Elle ajouta sa carte professionnelle Poupée Clotilde, création en biscuit, vêtue de manière différente, chaque modèle étant unique. La soie, la dentelle, le satin , le velours étaient à la base des costumes ; des cheveux naturels étaient coiffés avec art, tresses, anglaises ou coupes modernes variées.

La poupée Clotilde fit battre le cœur de Clément : en lui donnant une taille humaine, il identifiait sa Fleur de Lune désirable, connaissant une vive émotion voisine des transes de la Pythie.

Il promit à Clotilde de venir la voir dans son atelier et pour exprimer sa gratitude, il lui offrit des palets bretons nommés Traou Mad qu’il gardait pour les grandes occasions.

Clotilde le remercia et partit d’un pas ferme, laissant derrière elle une partie de sa personne puisque le visage de la poupée était modelé à son image.

Brisé par l’émotion, Clément s’allongea et laissa libre cours à sa rêverie qui le ramena tout naturellement à sa Fleur de Lune chérie.

 

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