« L’amant épris se pencha sur la belle Fleur de Lune aux longs cheveux de soie, la prit dans ses bras et la déposa sur un lit de plantes odorantes où l’angélique dominait. Dans une barque d’amour, il voguait à la mode vénitienne . Il s’allongea à ses côtés et laissa la barque suivre le cours de la rivière. Embrassant et caressant sa reine d’amour, il eut l’impression d’atteindre des sommets passionnés. Désirant que ce va-et-vient d’amour au rythme de la barque parfumée ne s’arrête jamais, il dut cependant aborder une île rencontrée à titre d’obstacle.
Les amants se promenèrent enlacés sur la terre humide jonchée de fleurs et d’aromates ».
La dérive romanesque de Clément cessa au premier coup de sonnette de Flora, pressée de compléter le repas qu’elle offrait à des amis avec des pâtisseries originales, le thème central !
Elle emporta le vol-au-vent garni de gelée de groseilles. Heureuse du bel effet que ce gâteau produirait après un veau Orloff acheté chez le traiteur, elle laissa un généreux pourboire et offrit l’une de ses compositions, une coupe d’orchidées. Sa carte de fleuriste ornait discrètement la corbeille de verre translucide mettant en valeur la délicatesse du bouquet. Clément fit sensible à ce cadeau et il se promit d’assortir sa prochaine déclaration d’amour à un envoi floral.
Pour marquer sa gratitude, Clément ajouta des îles flottantes présentées dans des sphères adaptées à ce dessert. Flora remercia en envoyant un baiser du bout de ses doigts rosis par le maniement de fleurs fraîches et elle s’en fut bien vite pour affiner les derniers préparatifs de sa soirée.
« Ma Fleur de Lune délicate et parfumée, je t’apporte la chaleur de mes baisers et je voudrais t’enchanter à la manière des bergers de l’ Antiquité avec une flûte de Pan égrenant les notes magiques d’une mélodie d’amour ».
Une deuxième sonnerie le contraignit à rompre le fil ténu de sa rêverie.
Valentin, pilote personnel d’une célébrité fit son entrée ; le boss envisageait un vol dans le Sahara. Un rendez-vous était pris sous la tente d’un touareg.
Pour ne pas arriver les mains vides, Valentin s’était laissé séduire par l’annonce de Clément.
Ravi de la perspective d’un effet notoire après la dégustation d’un mini puits d’amour offert par Clément, il fit cadeau à ce pâtissier du jour un magnifique burnous et s’en fut rapidement pour préserver la fraîcheur de son cadeau gourmand.
Clément n’eut pas le temps de se remettre à l’écriture de son rêve car Marjolaine se signala par un coup de sonnette aussi discret que sa personne.
Marjolaine avait la fraîcheur de la plante dont elle portait le nom et représentait à merveille l’héroïne de la chanson de Francis Lemarque :
« Un étranger et sa guitare
Dans une rue pleine de brouillard
Chantait, chantait une chanson
Que répétaient deux autres compagnons
Marjolaine, toi si jolie
Marjolaine, le printemps sourit
Marjolaine, j’étais soldat
Mais aujourd’hui
Je reviens près de toi ».
Clément se retint de siffloter tant la jeune fille était fraîche et suscitait les envolées lyriques.
Marjolaine demanda l’autorisation de s’asseoir. Clément garnit un guéridon d’une carafe de limonade à la rose, d’un joli verre à pied en cristal et d’un assortiment de puits d’amour. Il s’assit dans un fauteuil et demeura silencieux, invitant la jeune fille à se servir d’un geste élégant.
La jeune fille prit enfin la parole, consciente que sa demande pouvait poser un problème.
Elle était serveuse dans un palace et ne comptait plus ses heures de service et de présence. En voyant l’annonce de Clément, elle avait songé qu’elle méritait bien un plaisir gourmand après une cinquantaine d’heures passées sur son lieu de travail. Elle félicita le jeune homme pour l’excellence de sa pâtisserie et la qualité de sa présentation :
« Ce guéridon est une pure merveille et cela me rappelle qu’il fut un temps où, dans les hôtelleries de renom, on servait au guéridon. Par la suite, le choix s’élargit au service à la russe, l’apanage des grandes maisons. Merci pour la délicatesse de la touche » !
La jeune fille se tut et se prépara à partir. Elle s’excusa pour la modicité de son présent, un bracelet en perles mignonnettes bleu turquoise et blanc nacré qu’elle avait tressé en se servant d’un fil de pêche, souvenir de l’artisanat marocain dont elle était férue.
« La confection de ces bijoux me détend dit elle en souriant. En dépit de toutes les heures passées à travailler, je n’ai pas un gros salaire et je peux m’offrir quelques rares plaisirs grâce aux pourboires de clients généreux ».
Clément l’assura que c’était un magnifique cadeau et qu’il porterait le bracelet en souvenir d’elle.
« Vous reverrai-je » ? s’enhardit-il à lui demander :
« Si vous le souhaitez, répondit la jeune fille en souriant car j’ai passé auprès de vous un moment de quiétude inédit.
Je ne pourrai pas vous voir en service dit Clément car je ne suis pas assez riche pour m’offrir le plaisir d’une table étoilée ».
Ils convinrent d’un rendez-vous dans un salon de thé abordable, la semaine suivante, jour de congé unique de Marjolaine et lorsqu’elle referma la porte, emportant les puits d’amour et les îles flottantes, Clément devint rêveur, oubliant sa Fleur de Lune aux longs cheveux de soie.
Il rangea son carnet d’écriture dans un coffre et décida de chercher un emploi pour mériter l’amour de Marjolaine, si jolie, si fraîche et si authentique.
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