Le prince Nadir

 

Amoureux de la nature, le prince Nadir qui s’adonnait à la peinture, regardait un soir, de sa terrasse, un coucher de soleil, observant les nuances camaïeu du soir pour les reproduire au pinceau. Il ne vit pas arriver un dragon ailé qui s’empara de sa personne et vola à tire d’ailes dans une île dominée par des dragons.

Leur reine Althéa s’était mise en tête d’épouser un humain, un prince de sang royal pour répondre à la prédiction : «  Un prince naîtra de tes entrailles, mi-homme mi-dragon et il dominera le monde ».

Ignorant les desseins de la reine, le prince se demanda longtemps le but de son rapt.

Très bien traité et logé de manière princière, il était servi par des pages experts dans l’art du service. On lui avait même aménagé un atelier de peinture où rien ne manquait : toiles, pinceaux, couleurs, carnets à dessins, crayons, fusains, tout y était.

De plus, il était autorisé à se promener dans les jardins. Des dragons, à bonne distance, épiaient ses mouvements, veillant à ce qu’il ne lui arrive rien de fâcheux.

Se nourrissant des perceptions du jour, du coucher de soleil et de son environnement marin, le prince peignit une toile fulgurante où les dragons crachaient les feux du soir tandis qu’un jeune poète, livre à la main, s’avançait vers une lueur incandescente où se cachait peut-être la plus belle des princesses.

Un jour, les pages lui annoncèrent que la reine Althéa le conviait à sa table. Ses goûts culinaires avaient été pris en compte précisèrent-ils, œufs, laitages, salades diverses et poissons seraient cuisinés de façon savante.

Il prit un bain, revêtit un joli costume ignifuge ; sage précaution car la reine Althéa pouvait laisser échapper une flamme dont elle était porteuse.

Lorsqu’il arriva dans la salle d’apparat où une magnifique table était dressée, la reine Althéa était déjà installée. Elle fit signe au prince de prendre place à l’autre bout de la table.

La ronde du service commença. La reine mangeait avec parcimonie et ne buvait que de l’eau. Le prince faisait honneur à tous ces plats merveilleux, œufs cocotte, salade composée, vol-au-vent aux champignons crémeux, flans au caramel et puits d’amour. La boisson était variée, hydromel, cervoise, vins au bouquet floral et limonade à la rose. Des carafes d’eau plate ou pétillante étaient aussi à sa disposition. Un carafon en cristal de roche retint son attention. Il contenait un assemblage de nectars. Le prince subtilisa la bouteille ciselée, la faisant disparaître dans la poche de sa veste. C’est dans ce contenant que son appel au secours avait été lancé et trouvé par la princesse Alya encore appelée Butterfly.

La reine Althéa ne vit pas cet escamotage car elle luttait au même moment contre le besoin d’expulser une flamme. Elle ne voulait pas effrayer son promis et pour lui parler de manière intime, elle avait renvoyé les serviteurs.

«  Prince Nadir parvint-elle à dire après avoir dompté la flamme incongrue, j’ai deux requêtes à vous adresser. J’aimerais que vous fassiez mon portrait. J’aime votre façon de peindre d’après nature et je ne doute pas de la réussite de ce portrait. Quant à l’autre requête, je vous l’exposerai lors des séances de pose mais sachez que je ne vous veux aucun mal, bien au contraire ».

Épuisée par l’effort fourni pour avoir l’apparence d’une reine, Althéa exprima le désir de se retirer et elle invita le prince à faire de même.

C’est ainsi que Nadir put rédiger son appel après le départ de la reine. Il utilisa un billet laissé à sa discrétion pour le cas où il voudrait exprimer un désir particulier. Il écrivit simplement «  Détenu dans une île par des dragons. Prince Nadir », but le contenu du flacon, inséra le billet et s’échappa rapidement en direction du rivage. Il jeta sa bouteille à la mer, espérant qu’elle échoue sur un rivage amical pour qu’on vienne le secourir.

Même s’il était bien traité, il n’en était pas moins prisonnier et les paroles de la reine n’étaient pas d’augure à le rassurer.

Son geste salvateur accompli, il prit le chemin du retour au palais, se retira dans ses appartements et s’endormit rapidement, rêvant que la princesse du tableau venait à son secours.