mercredi 12 juillet 2023

Le chevalier de la rose noire

 


Penché sur une enluminure du XVème siècle, Darius songeait au prochain chapitre de son roman, Le chevalier de la rose noire. L’idée séquentielle lui était venue alors qu’il se promenait dans une roseraie. Une rose pourpre veinée de noir lui avait donné l’idée d’un conte ésotérique dont il se délectait à l’avance dans la mesure où il écrivait au hasard de l’inspiration.

En lisant Nord Matin, il crut avoir une hallucination en découvrant un article signé par Jade.

Elle avait fait un récit sobre de la découverte d’une jeune fille morte, reposant dans un lit de roseaux.

Sans dévoiler le détail de la rose incrustée dans les parties intimes de la défunte, geste post mortem porteur d’une morbide signature, Jade avait inclus dans son article la reproduction d’une esquisse de la rose noire faite par Florian.

Comparant le croquis avec sa propre observation dans la roseraie et l’enluminure d’un écrit médiéval, Darius se sentit pousser des ailes. Son roman allait sans doute prendre une tournure nouvelle. Comme dans Au nom de la Rose d’Umberto Ecco, son récit orienté sur une voie ésotérique pourrait se teinter des draperies sombres de la criminalité.

Il fourra son manuscrit dans la serviette d’école en cuir fauve qu’il chérissait depuis son enfance, prépara une valise avec du linge de rechange et une trousse de toilette puis il se dirigea vers le garage où l’attendait sa partenaire chérie, une Buick Bouton d’Or décapotable.

Il partit, cheveux au vent, rêvant de cerisiers en fleurs pour arriver, par le chemin des écoliers, à Fleur-Lez-Lys où il tremperait sa plume dans l’encrier sombre de la mort.

Son arrivée, dans le bourg, ne passa pas inaperçue.

La Buick Bouton d’Or rappelait aux anciens l’amour fou éprouvé dans les années cinquante pour ce totem de l’Amérique triomphante et libératrice, négligeant le massacre des Indiens et la ségrégation raciale comme quantités négligeables.

Darius demanda à une passante de lui indiquer un hôtel ou une maison d’hôtes et la dame lui suggéra de se présenter à la maison des contes.

«  Ce n’est pas une maison d’hôtes à proprement parler mais la propriétaire acceptera de vous héberger car elle est toujours prête à accueillir des personnes de qualité » lui dit Jeanne, une habituée de «  Chez Marius ».

Elle lui conseilla d’aller se rafraîchir dans l’estaminet qui était, selon ses dires, le poumon du village.

«  On est au courant de tout quand on est un habitué et j’imagine, à vous voir, que vous venez ici, attiré par le mystère de la mort d’une pauvre jeune fille, inconnue dans le village et porteuse d’une marque étrange, la rose noire ».

Darius remercia la villageoise avertie, confia Bouton d’Or à un jeune homme amoureux des belles voitures et fit une entrée triomphale chez Marius.

«  Que puis-je vous servir, beau prince dit Marius avec enjouement.

Auriez-vous de la cervoise ? J’aime la marque Lancelot ou Duchesse Anne.

Et avec cela, compléta Marius, croque-monsieur, nems, samosas, pizza ou hamburger maison » ?

Darius se laissa tenter par un hamburger maison, garni d’un mince steak haché, de feuilles de laitue, de rondelles de tomates et de languettes de Maroilles.

«  Fameux » commenta-t-il tout en caressant sa serviette d’écolier en cuir fauve.

«  Vous êtes écrivain, lança Jade venue savourer son cappuccino quotidien.

Pour vous servir, gente dame. Je suis accouru dans ce charmant village pour y trouver un regain d’inspiration.

Notre église Saint Michel a du charme concéda la journaliste.

Certes, j’apprécie son élégance et son ancienneté mais je suis venu ici pour offrir à mon chevalier de la rose noire, mon héros, une occasion de rebondir dans sa quête spirituelle.

Comme c’est intéressant, s’émut Jade. Avez-vous lu mon article paru dans Nord Matin ?

Vous êtes la célèbre Jade ? Je rêvais justement de vous rencontrer ».

Sur ce, Darius proposa à la journaliste de le rejoindre. Il serait plus agréable de converser en tête à tête plutôt que d’échanger des phrases à la volée de table en table.

Les deux écrivains, le romancier et la journaliste, confrontèrent leur vision de la rose noire puis ils se dirigèrent vers la maison des contes où ils pourraient poursuivre  leurs recherches dans une atmosphère amicale et lumineuse.

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