jeudi 13 juillet 2023

Quiproquo amoureux

 

Au lendemain de cette étrange soirée, Sacha fit livrer une douzaine de roses noires chaque jour au théâtre à destination de sa danseuse étoile, se la figurant sienne à jamais. Une petite rose noire incrustée dans un diamant accompagnait un mot tendre. Ambre rangea ces bijoux dans le tiroir de la commode de sa loge et tâcha de ne plus y penser.

Elle recevait également une lettre quotidienne d’Evgueni qui lui rappelait sa tendresse et lui recommandait de prendre soin d’elle. Comme s’il avait pu deviner qu’elle vivait une histoire d’amour excentrique et empreinte de folie, son mentor lui conseillait de lire chaque soir un poème de Ronsard afin de s’endormir avec un sourire de rose au bord des cils.

Écartelée entre les roses noires qui n’étaient pas celles du blason d’Evgueni, clamant l’amour fou et exclusif de Sacha et les roses pleines de tendresse de son grand amour, Ambre se sentait déchirée et cette oscillation vertigineuse donnait à son interprétation du cygne une densité remarquable.

La première obtint un succès inouï.

Des bouquets de roses de toutes les couleurs où l’on avait glissé des colliers de perles, des bracelets d’or fin et des boucles d’oreilles en grenat tapissèrent la loge de la danseuse avec des invitations somptueuses mais Sacha l’enleva littéralement, lui donna un long baiser prometteur d’ivresses, l’habilla d’une robe couleur ivoire et l’enveloppa amoureusement dans une cape de zibeline.

Il l’emmena au bord de l’étang et lui déclara son immense flamme.

«  Ma douce, ma tendre, nous sommes faits l’un pour l’autre et je déposerai sur ton corps la marque de mon amour, une rose noire venue de mes steppes natales. Elle mourra à la lumière mais un collier de mes roses passions, du plus beau pourpre, virant au noir, ornera ton cou de mariée lorsque tu prêteras serment au pope.

Sacha, je ne sais comment te dire que je suis très sensible à tes multiples attentions. Cependant je dois être honnête vis-à-vis de toi et te dire que je crois aimer un autre homme, celui qui m’a fait découvrir le monde féerique de la danse, Evgueni de  Novgorod, pour le nommer.

Comment oses-tu me préférer cet homme que je connais, du reste, et qui est plus âgé que toi ? Je suis Sacha, le tsar de la danse ! Regarde ce magnifique manteau de plumes de cygnes que j’ai fait coudre pour toi » !

Sacha lui fit respirer le manteau, empreint selon ses dires, de leur amour d’un soir et esquissa une sorte de ballet auprès de la jeune fille qu’il avait installée dans une roselière comme dans une couche de mariée.

Ambre poussa un grand cri, ce à quoi Sacha rétorqua par un mouvement forcené des plumes de cygnes.

C’est alors que les lèvres de la jeune fille devinrent violettes et qu’elle mourut en poussant un dernier soupir.

Fou d’amour frustré, Sacha explora le corps encore tiède de celle qui ne serait jamais sienne, incrusta la rose noire dans l’organe qui ne frémirait pas sous ses caresses et il partit, dans une colère noire, cygne maudit pour toujours !

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