lundi 3 juillet 2023

Un vagabond à Fleur-lez-Lys


L’arrivée d’un vagabond à Fleur-Lez-Lys défraya la chronique.

On le trouva assis sur le parvis de l’église Saint-Michel, une rose à la main.

Par réflexe d’enquêtrice, Albertine lui demanda ses papiers d’identité et elle lut, non sans étonnement, le nom d’Alfredo Romané.

Ne voulant pas effrayer ce pauvre homme aux yeux éteints, elle avisa un enfant à qui elle confia à voix basse la mission de faire venir la jeune gitane qui vivait à la maison des contes.

Romane resta sans voix en découvrant cet homme qui n’était plus qu’une ombre, si loin de ce bel homme élégant, Alfredo, magnifique cavalier, capable de sauter à pieds joints sur la croupe d’un bel étalon et si tendre envers elle et leur petite fille.

Il ne semblait pas la reconnaître et pourtant il se laissa docilement emmener par celle qu’il avait tant aimée et dont il reconnaissait peut-être l’ombre d’un souvenir.

Max pensa qu’il était préférable de l’héberger chez lui.

Il se chargeait de lui donner un bain, de lui offrir des vêtements adaptés et de faire venir un médecin qui établisse un diagnostic.

Le docteur Adrian qui venait de Roumanie reconnut un compatriote en cet homme si affaibli.

Après un examen minutieux, il émit l’hypothèse qu’on l’avait battu à mort mais que son exceptionnelle robustesse lui avait permis de survivre, avec quelques séquelles dont une forme d’amnésie.

Néanmoins, il avait sauvegardé une sorte de boussole intérieure qui l’avait conduit jusqu’à Fleur-Lez-Lys.

Il avait mémorisé le nom du village et il savait qu’une femme aimée l’y attendait. La rose était pour elle.

«  Que peut-on faire demanda Max ?

Rien,  si ce n’est de lui prodiguer de bons soins et attendre que sa mémoire bouscule les zones noires qui obscurcissent sa pensée ».

Le docteur ne voulut pas être payé  et il annonça qu’il reviendrait prendre de ses nouvelles, à titre de visiteur amical.

Jour après jour, Alfredo retrouva quelques forces. Il prenait plaisir à boire du café sous la véranda et la présence de Max lui était d’un grand secours.

Il arriva enfin que le docteur Adrian le trouve pratiquement guéri.

Ce n’était plus, certes, le très bel homme qu’il avait été mais il était loin du vagabond inexpressif, égaré, sur le parvis de l’église.

Comme le docteur était célibataire, il accepta de passer une journée auprès d’Alfredo.

Max alla, de son côté, en ville, pour acheter un costume élégant destiné au rescapé d’une bagarre qui avait dû être inouïe.

Après avoir fait ses emplettes comprenant un costume de velours noir, un gilet persan, une chemise à jabots, un chapeau feutre au charme parfait, une cravate western et des boutons de nacre, Max demanda à Romane si elle approuvait ce choix, ce qu’elle fit, des larmes au bord des cils.

Son cœur battait très fort et elle embrassa furtivement la main de Max, à la mode gitane pour lui prouver sa reconnaissance.

Jade proposa une soirée festive. Elle fit venir un traiteur qui lui présenta un menu gourmand.

Crudités présentées sous forme de papillon, marmite du pêcheur, gigot d’agneau aux fèves et aux pommes dauphines, riche plateau de fromages incluant le Maroilles si onctueux et si savoureux, pêches au sirop et quatre quarts à la fleur d’oranger et enfin une Reine de Saba digne des Mille et une Nuits rendraient, pensait-on, avec la gourmandise, un peu de rêve à Alfredo.

Albertine eut l’idée de réserver un orchestre gitan pour égayer la fin de la soirée.

Lorsqu’Alfredo apparut, Romane faillit s’évanouir de bonheur.

Elle retrouvait en cet homme élégamment vêtu, un peu du Don Juan qu’elle avait adoré.

Après l’apéritif, on passa à table.

La poupée d’Elsa, Eglantine, occupait la place d’honneur.

Une lueur brilla dans le regard terne d’Alfredo.

Saisissant la poupée, il s’écria :

«  Elsa, ma douce, où es-tu » ?

Puis il enlaça Romane en lui murmurant des mots d’amour.

Les amis se comprirent du regard.

Renonçant à la fabuleuse soirée destinée à raviver les souvenirs d’Alfredo, ils s’éclipsèrent discrètement pour laisser le couple en tête à tête.

Jade demanda à des bénévoles de bien vouloir servir le couple et elle emporta une partie du repas chez Max où chacun se réjouit de manger des mets aussi délicats et surtout d’avoir assisté au réveil d’Alfredo.

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