jeudi 29 août 2024

Ange aux grands yeux noirs


 

 


Dans un royaume lointain naquit un enfant que l’on prénomma Ange tant sa beauté relevait de l’ordre céleste. Il avait de grands yeux noirs soulignés par de longs cils. Il ressemblait à la représentation que l’on se fait du Petit  Lord Fauntleroy .

Ses parents, commerçants en dentelle et divers articles de mercerie se réjouirent de la venue au monde de ce bel enfant qui porterait avec élégance des costumes faits dans le velours vendu en magasin.

Ils étaient fiers de leur enseigne Fées du bonheur et pensaient que ce nom leur servirait de passeport pour l’élégance.

L’enfant grandit, faisant honneur à ses parents par sa gentillesse et ses compétences dans les arts littéraires et musicaux.

Il prit des leçons de danse de salon afin de devenir un jeune homme accompli.

Au moment où ses parents Daniel et Claudine envisageaient de se retirer au bénéfice de leur fils, une guerre éclata, propulsant le jeune Ange dans un monde barbare où la beauté et l’art n’étaient pas de mise.

Ange connut l’enfer des tranchées, l’horreur des bombes et de la mitraille.

Comme ses camarades, il dut subir l’assaut d’insectes qui laissaient des traces purulentes sur les épidermes noircis par la boue.

Lors d’une permission, il revint au pays, si changé que ses parents ne le reconnurent pas.

Ses grands yeux noirs avaient perdu leur éclat et son sourire était devenu une grimace.

Bains parfumés, onguents à la rose, cheveux soigneusement lavés et traités pour chasser des hôtes indésirables lui rendirent une apparence proche de celle qu’il avait avant son départ.

Cependant, la nuit précédant son retour au front, Ange fut pris de convulsions et les psychiatres diagnostiquèrent une dépression profonde.

Il hanta les couloirs d’une maison de repos où il fut envoyé.

Ses semblables avaient peur de tout et chacun hésitait à se promener dans les jardins.

La visite d’une cousine lointaine, Garance, lui causa un vif émoi. Son prénom était celui de la fleur dont on tirait un beau rouge vif, couleur des pantalons de l’armée qui faisaient des soldats une cible idéale.

Ce handicap surmonté, Ange fut sensible à la couleur turquoise des yeux de la jeune fille.

«  Je vous appellerai Marie, si vous le voulez bien » dit-il d’une voix si douce que Garance accepta cette substitution.

«  Vous serez ainsi ma représentation de la Vierge Marie et me protègerez des balles ennemies » se justifia-t-il.

Les visites quotidiennes de Marie lui procurèrent un apaisement qui provoqua sa guérison.

L’éclat de ses yeux que l’on croyait perdu réapparut et Ange se sentit suffisamment fort pour offrir son cœur à celle qui avait sauvé son âme.

Marie accepta de devenir sa femme et tandis que son époux repartait au combat, en tenue bleu horizon cette fois, elle s’installa à la demande de ses beaux-parents dans la coquette boutique Fées du bonheur.

Elle en devint l’âme, portant avec grâce des robes de velours et de dentelles pour valoriser les créations emmagasinées avant-guerre.

Des élégantes du Faubourg Saint-Germain prirent l’habitude de commander des toilettes que la jeune mariée confectionnait de ses mains.

Un petit atelier jouxta bientôt le magasin.

Les affaires marchaient bien de sorte que Marie put embaucher une couturière et une brodeuse.

Les trois femmes s’activaient tandis que les parents du patriote tenaient le magasin.

Un enfant naquit. On le prénomma Gabriel pour rester dans la thématique de l’ange.

Le père obtint une permission pour embrasser son fils et son bonheur fut total car le jour du baptême, une merveilleuse nouvelle plongea le pays dans la liesse : la guerre était finie !

Ange dormit comme un enfant cette nuit-là et le lendemain, on le revit tel qu’on l’avait connu et admiré, un homme au regard céleste !

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire