mercredi 14 mai 2025

Dans les lignes de ta main

 

 

 


«  Dans les lignes de ta main, je vois la destinée d’une princesse en sabots, filant la laine et brodant de grandes pièces de lin » dit une gitane à la belle Sarah qui vivait à la périphérie d’une cité fleurant bon les pâtisseries au beurre et les roses.

Au village de Locronan, tout le monde connaissait Sarah dont les prestations de conteuse étaient appréciées.

Savourer une part de kouign-amann ou gâteau de beurre en écoutant une histoire narrée par Sarah faisait partie des plaisirs des villageois et des amoureux de  la cité de caractère construite pour honorer la légende d’un saint irlandais Saint Ronan, venu en Bretagne pour y rencontrer le lieu idéal de culte marial.

Assise sur la margelle de la fontaine située au cœur de la grand place du village, sa jupe et son tablier savamment étalés en corolle sur ses jolies jambes, Sarah dispensait le rêve, sourire aux lèvres.

Une boite laquée disposait d’une fente dans laquelle on pouvait glisser discrètement des pièces de monnaie ou des billets. Les auditeurs se montraient généralement généreux ; sa prestation achevée, comptait sa recette à l’intérieur d’un café où le patron lui apportait une collation généreusement offerte : «  Tes histoires passionnent et attirent un public qui prolonge le plaisir partagé en s’attablant chez moi. Je te dois des remerciements »

Les jours de marché, les recettes doublaient et la réputation de la jeune conteuse s’étendait au-delà des collines avoisinantes.

Les paroles de la gitane faisaient  néanmoins leur chemin dans l’esprit de Sarah.

Était-ce un signe du destin ? N’était-il pas temps, pour elle, de renoncer à cette vie hasardeuse et d’apprendre un métier artisanal qui lui permettrait d’avoir une vie équilibrée ?

Songeuse, Sarah prit le chemin de Locronan sans écrit dans les poches, un panier au bras pour signifier sa volonté d’être une simple promeneuse, cliente potentielle.

Elle entra chez un tisserand et regarda des pièces de lin brodées avec intérêt.

«  Cherches-tu du travail, ma belle enfant  ? lui dit le propriétaire de la boutique , ma dernière apprentie est partie tenter sa chance à la ville et ma meilleure brodeuse nous a quittés pour les cieux ».

«  Je n’ai pas appris à broder mais si je suis guidée, j’accepte votre proposition »

Hervé Le Guen établit un contrat d’apprentissage et se mit en devoir de donner sa première leçon à la brodeuse déclarée.

Sarah suivit scrupuleusement les conseils du maître brodeur et la journée fila si vite qu’elle rentra chez elle à la nuit tombée, heureuse de lendemains correspondant aux prédictions de la gitane.

Après avoir mangé une omelette, elle se plongea dans la lecture des poèmes de Guillaume Apollinaire. L’un d’eux, La Tsigane, s’harmonisait avec le monde qui s’ouvrait à elle :

«  La tsigane savait d’avance

Nos deux vies barrées par les nuits

Nous lui dîmes adieu et puis

De ce puits sortit l’Espérance ».

Ce poème l’avait toujours fascinée par sa mélodie et son mystère.

Ce jour-là, elle décida de retenir le mot Espérance et c’est sur cette ligne du rêve qu’elle s’endormit, heureuse de l’inflexion de sa vie.

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