dimanche 18 mai 2025

Philippe des Tourneux

 


Héritier d’un titre nobiliaire et d’un beau manoir, riche et puissant, Philippe des Tourneux n’était pas heureux.

Très nerveux, il calmait sa fureur et sa mélancolie en parcourant des lieues à cheval.

C’est ainsi qu’il aperçut Dahlia lisant dans son jardin ; le bonheur émanant de cette femme lui parut injuste. Pourquoi était-elle heureuse tandis qu’il luttait contre les idées noires et les bourdonnements de sa tête malade ? Sans chercher à connaître la cause de ses maux, il conçut l’idée expéditive d’enlever la personne. Il prit soin d’emporter son livre et il le déposa à portée de main dans le cachot où il l’enferma après l’avoir ferrée.

Constatant que la lecture de Belle du Seigneur n’avait rien perdu de son charme auprès de sa prisonnière, il lui offrit un cadre de vie plus propice à l’épanouissement et rongea son frein.

Pour éviter tout geste dont il regretterait après coup la violence, il évita de croiser son regard et envoya son serviteur zélé lui porter des plateaux-repas ; il lui demanda également de s’enquérir des souhaits de la captive.

Dahlia parlait peu, se méfiant des emportements de son ravisseur.

Néanmoins, elle exprima le désir de se promener dans un jardin.

«  Soit, elle l’aura voulu » dit le châtelain et il fit construire une rotonde dans un espace fleuri.

Ces travaux terminés, il conduisit Dahlia dans son nouveau décor.

«  Vous n’avez pas pris votre livre » réussit-il à articuler pour se rendre aimable. La jeune fille répondit qu’elle avait achevé sa lecture.

«  Donnez-moi une liste de livres que je puisse acquérir pour vous » proposa-t-il.

Dahlia ne savait que dire. En vérité, dans la mesure où elle était coupée du monde, il ne lui venait aucune velléité de lecture. Les livres vont de pair avec la vie : prisonnière, elle souhaitait goûter l’instant présent.

Des titres lui venaient en tête  mais elle préféra les taire étant donné que son ravisseur pourrait en percevoir un sens caché chargé de reproche.

La Prisonnière de Marcel Proust semblait s’adapter à sa situation : l’homme qui l’avait enlevée pourrait y voir un message subliminal !

Ne réveillons pas un tigre endormi songea-t-elle et elle répondit avec diplomatie qu’elle préférait savourer des moments agréables en compagnie de son hôte plutôt que de se plonger dans l’univers fictif d’un livre.

Philippe ne fut pas dupe de la duplicité de sa prisonnière mais ces paroles apaisèrent son cœur meurtri et il renonça à son projet de finaliser une bibliothèque pour l’attacher à sa personne.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire