vendredi 5 septembre 2025

Révélations testamentaires

 




Les jours passaient, Céladon progressait et éprouvait le besoin de se dépenser. Silvio se résigna à l’envoyer dans une pension où il forgerait sa personnalité et choisirait une profession en accord avec son amour de la nature.

Craignant de tomber à nouveau dans les griffes de la sirène, Silvio avait résolument tourné le dos à la mer et avait inscrit Céladon dans un parc nautique pour qu’il apprenne à nager en toute sécurité.

L’internat dans le pensionnat de prestige était onéreux : il fallait acheter un trousseau complet et cette fois, Silvio se trouva démuni.

Certes, il pouvait vendre un joli lot de perles mais il souhaitait réserver le produit de ses efforts à son fils avec une lettre relatant ses origines par voie testamentaire. Il consulta un notaire à cet effet.

C’est alors qu’il apprit enfin le nom de la généreuse donatrice qui avait changé le cours de son destin. Il s’agissait d’une châtelaine amoureuse passionnée des perles. La comtesse Sophie de Montsoreau était reconnaissante des plongées productives de Silvio.

Grâce à lui, elle avait connu des heures enchantées en jouant avec ses bijoux comme autant de merveilles. «  J’ai aimé les perles plus que mes maris » disait-elle parfois à ses confidents.

Elle avait donc légué son immense fortune à l’homme qui lui avait procuré les plus belles heures de sa vie.

«  Vous êtes très riche, cher ami conclut le notaire. J’ai suivi les consignes de la comtesse en faisant savoir à l’aubergiste Amélia que votre crédit était illimité. Cependant, il vous est possible de disposer de votre fortune à votre guise ».

Silvio resta un moment silencieux puis il demanda au notaire de lui laisser une somme qui couvrirait les frais de l’éducation de son fils et proposa qu’on lui verse de surcroît l’équivalent d’un salaire mensuel pour envisager une reconversion.

Il n’était plus question de plonger pour ramener des perles au péril de sa vie et il ne souhaitait pas non plus vivre comme un parasite à l’auberge.

Il emménagerait chez lui et trouverait un mode de vie professionnel à sa mesure. Néanmoins il ne couperait pas les ponts avec l’auberge où il avait pu se reconstruire.

Le notaire approuva ces mesures, ajoutant que son crédit auprès d’Amélia resterait inchangé.

«  Vous apportez ainsi votre contribution au maintien d’un commerce utile » précisa-t-il puis il lui donna une jolie somme pour parer aux imprévus.

Il continuerait à gérer la fortune héritée.

«  La comtesse vous a également légué son château à Montsoreau . Vous pourrez ainsi découvrir de nouveaux horizons. Alexandre Dumas a écrit un très beau roman La Dame de Monsoreau en s’inspirant du château dont vous êtes maintenant l’heureux propriétaire. J’ai appris que vous aimiez la littérature : vous pourrez ainsi profiter de votre séjour pour lire le roman et le faire découvrir à votre fils. Il en vaut la peine ».

Le notaire reconduisit Silvio à la porte de son étude et lui souhaita de profiter des prodigalités d’une châtelaine qui avait tant aimé les perles qu’elle avait tenu à récompenser celui qui lui avait procuré un immense bonheur.

Silvio le remercia pour toutes ses attentions et reprit le chemin de l’auberge pour rassurer Céladon sur son avenir.

Amélia fêta l’événement en servant un cochon de lait farci et des tartes à l’ancienne.

Silvio mit Salomon et Coralie dans la confidence de sa bonne fortune et confirma à Amélia qu’elle avait toujours carte blanche pour son hébergement.

«  Toutefois précisa-t-il, à l’exception des vacances scolaires où Céladon et moi-même continuerons à vivre des heures enchanteresses en votre compagnie, il me faudra exercer une retraite en ma demeure pour me consacrer à ma nouvelle profession.

Laquelle ? s’écrièrent les trois amis et Céladon

Celle d’écrivain bien sûr dit Silvio en souriant. Qui pourra, mieux que moi écrire le roman de la mer » ?

La princesse Anémone


Dans un royaume insulaire naquit une petite princesse à qui l’on donna le nom d’Anémone tant elle était fraîche et rose.

Elle aimait jouer dans les allées du parc qui offrait au palais les parfums de ses essences rares.

Un petit prince Zéphyr vint bientôt lui tenir compagnie et tous deux, inséparables, jouaient au croquet et se délectaient des histoires mimées dans un théâtre d’ombres et orchestrées par les serviteurs inventifs qui veillaient à leur bien-être.

Un jour, Zéphyr disparut.

Les aventures de Peter Pan les tenaient en haleine mais lorsque le rideau tomba et que l’on alluma les chandeliers, on ne put que constater l’absence du petit prince.

On le chercha partout, on interrogea Anémone mais la petite fille fut incapable de donner le moindre indice. La main de Zéphyr était imprimée sur son bras et elle assura qu’à aucun moment, elle n’avait ressenti la sensation de son absence.

Elle se joignit, éplorée, aux recherches, supplia Zéphyr de sortir de sa cachette s’il avait voulu faire une farce.

Finalement, elle s’endormit dans les bras de sa gouvernante.

On la coucha avec délicatesse car des larmes avaient coulé sur ses jolies joues et le lendemain, elle crut avoir eu un cauchemar. Il lui fallut hélas se rendre à l’évidence, son petit frère, le prince de son cœur semblait avoir été enlevé par un mauvais génie.

Les fouilles reprirent de plus belle : aucun arbrisseau ne resta inexploré mais toutes ces investigations se soldèrent par un cuisant échec.

Non seulement le petit prince demeura introuvable mais encore, on ne releva aucune trace de pas sur les jolies allées sablées du parc  et l’on ne vit aucun lambeau du tissu de sa tunique dans un buisson.

Anémone connut des jours bien sombres mais elle se jura de retrouver son frère.

Elle insista auprès de ses parents pour apprendre à monter à cheval et elle devint une si parfaite écuyère qu’elle eut d’abord un poney Vent du Sud puis une jument Souffle d’Alizé qui devint son inséparable amie.

Elle prit des cours de dessin, de musique et de chant et tout naturellement, elle se tourna vers la philosophie, la poésie et les mathématiques.

Elle devint une princesse accomplie et ses charmes étaient si ensorcelants que de nombreux prétendants se manifestèrent, souhaitant s’unir à la plus merveilleuse jeune fille des royaumes environnants.

Anémone déclina toutes les demandes en mariage et elle fit savoir qu’elle ne souhaitait rien d’autre que le retour de son frère bien aimé.

Enfin, pressée de toutes parts, elle déclara qu’elle épouserait celui qui l’aiderait à retrouver Zéphyr.

Chacun s’ingénia à entreprendre des recherches et si toutes se soldèrent par un échec, un mince espoir arriva en provenance d’un royaume réputé pour ses perles et ses diamants.

Un vieux sage prétendait avoir été le précepteur d’un prince qui ressemblait à Zéphyr s’il pouvait en juger par les esquisses réalisées par Anémone.

Son talent de dessinatrice était extrêmement développé et les portraits qu’elle fit de son frère étaient si ressemblants qu’on croyait que l’enfant allait se détacher de la page blanche pour courir dans le parc en riant aux éclats.

Réconfortée par cette lueur d’espoir venue d’un pays de rêve, Anémone envoya dans ce royaume une délégation de jeunes guerriers de noble naissance et elle les chargea de rencontrer ce prince mystérieux.

Ils prirent la mer à bord d’un voilier en emportant des cadeaux précieux destinés à leur ouvrir les portes du palais.

Ils furent bientôt de retour en compagnie du prince mais bien qu’il eût une étrange ressemblance avec Zéphyr, ce n’était pas lui !

Le prince Zahir offrit à Anémone un collier de perles fabuleuses. On aurait juré que des larmes d’amour s’étaient figées en un cristal de rêve.

Anémone fut touchée par ce cadeau somptueux, à l’image de son désespoir tenace mais elle ne put retenir des larmes de tristesse car, encore une fois, Zéphyr se dérobait à sa vue.

Zahir lui promit de chercher le disparu à ses côtés et de n’avoir de cesse de l’avoir retrouvé.

Il eut l’idée de s’adresser à la fée qui avait suggéré de nommer le prince Zéphyr. Ce prénom était prédestiné à cette étrange évaporation.

La fée joua les étonnées mais sa feinte tristesse ne trompa personne.

Le prince Zahir fit semblant de la croire et il partit après l’avoir saluée de manière courtoise.

Cependant, il se cacha derrière un saule pleureur et lorsque la nuit fut tombée, il se déplaça à la manière des princes du désert, avec souplesse et ruse.

Son attente ne fut pas vaine car il vit apparaître la fée Magnolia auprès d’un jeune homme qu’il identifia sans peine pour être Zéphyr tant il ressemblait aux portraits réalisés par sa sœur.

Le prince Zéphyr supposé marchait à la manière d’un automate et Zahir eut l’impression qu’il était envoûté.

Jouant le tout pour le tout, il lança aux pieds de la fée une cascade de perles et tandis qu’elle s’affairait pour recueillir ces merveilleux trésors, Zahir s’empara du prince qui semblait sous le coup d’une hypnose, siffla son cheval Ange du déset et l’enfourcha en serrant contre lui le prince chéri par sa sœur.

Prise au dépourvu, la fée ne retrouva ses esprits que lorsque le prince eut disparu à l’horizon.

Lorsqu’ils arrivèrent au palais, Zéphyr qui n’était plus sous le charme pervers de la fée, retrouva ses esprits et tomba dans les bras de sa sœur.

Seul un sortilège pouvait être la cause de sa disparition dit Anémone en versant des larmes de reconnaissance puis la princesse remercia chaleureusement le prince Zahir qui avait mené avec une rare intelligence de triomphales investigations.

Je vous laisse imaginer le faste des festivités qui se déroulèrent au palais pour la joie de tous.

Le prince Zéphyr reprit sa place de futur gouvernant au palais et sa sœur, la belle Anémone succomba aux charmes du beau prince Zahir aussi intelligent que beau et lorsque tous deux furent certains que le prince Zéphyr pourrait régner en son royaume, ils partirent vers le royaume des perles et des pierreries.

Ils eurent des enfants qu’ils prénommèrent Nadia, Nour, Zohra, Aziz et Noureddine et ils se  gardèrent bien d’inviter une fée pour célébrer les baptêmes car même les fées, lorsqu’elles sont en mal de maternité, peuvent perdre l’esprit et enlever un enfant en le privant d’une enfance heureuse et en attristant sa famille.

Chacun d’eux reçut son poids de perles et leurs parents vécurent un parfait roman d’amour.

jeudi 4 septembre 2025

Le petit prince de la mer

 

  

De retour à l’auberge Aux trésors de la mer, Silvio fut heureux d’être délivré du poids de la plongée et de la recherche des huitres perlières.

Ce qu’il appréciait le plus, c’était de ne plus courir le risque de devenir le jouet de la sirène et de ses désirs.

Salomon lui parla d’un livre Là où chantent les écrevisses de Délia Owens. L’auteure s’était inspirée de sa propre enfance pour raconter l’incroyable histoire d’une petite fille qui dut apprendre à survivre seule dans un environnement hostile.

Silvio lut ce roman avec passion, découvrant les méandres marécageux d’un univers qui lui était étranger. Coralie qui avait aimé le livre se joignit à ses réflexions et à ses découvertes.

Parfois, Silvio se demandait qui était le généreux donateur qui payait son séjour illimité à l’auberge. Amélia lui jura qu’elle ne connaissait pas son identité mais qu’elle était payée avec du bon argent sonnant et trébuchant. Elle conseilla à Silvio de ne pas s’inquiéter, cette personne ne voulant apparemment que son bonheur.

Silvio chassa ce nuage, rassuré par les certitudes d’Amélia et il pensa que la révélation viendrait en son temps. Il était heureux de pouvoir vivre dans l’aisance et de pouvoir se cultiver.

L’auberge et ses familiers devenaient son foyer familial.

La mer se rappela à son bon souvenir lorsqu’un marin découvrit sur le rivage un petit garçon vêtu d’une tunique brodée et incrustée de perles. L’enfant dit s’appeler Céladon et venir chercher son père , Silvio.

Le marin amena l’enfant à l’auberge et  le présenta au père présumé.

Silvio eut une sorte d’éblouissement en découvrant les yeux couleur de mer de l’enfant. Son petit corps robuste ressemblait au sien et toute sa personne semblait être le produit des amours imposées par la sirène.

Il préféra dire à son entourage que cet enfant était le sien sans fournir d’explication sur sa naissance.

Il eut l’impression d’avoir hérité du double masculin de Kya, l’héroïne de Là où chantent les écrevisses et il ne voulut pas lui infliger la vie solitaire qu’elle avait connue. Il embrassa l’enfant, caressa ses jolies boucles et lui promit amour et espérance.

Amélia prépara une jolie chambre pour son nouveau pensionnaire ; le soir, après le repas, le père lut à Céladon le premier chapitre du roman qui l’avait passionné.

Il le quitta dès qu’il fut endormi et il demanda à Salomon des ouvrages pédagogiques pour éveiller l’enfant.

Salomon lui offrit Emile ou De l’éducation de Jean-Jacques Rousseau en lui disant que ce traité constituait une bonne base pour la réflexion.

Silvio se plongea dans l’univers du philosophe et se passionna pour certaines pages qui rejoignaient la vision de l’auteure américaine postérieure à Rousseau, créatrice de Là où chantent les écrevisses, la nature étant au centre du livre.

Les jours passèrent, favorisant l’épanouissement de Céladon qui vécut une période de bonheur.

Pêche miraculeuse

 




Silvio retrouva le contact de la mer et les émotions de la plongée en prenant soin de ne pas écouter le chant des sirènes grâce à des bouchons de cire placés dans ses oreilles.

Il tomba sur un banc d’huitres perlières qu’il récolta dans le sac étanche placé auteur de sa taille. Après cette pêche miraculeuse, il se dirigea vers sa demeure d’où s’échappait une bonne odeur de cotriade, son plat favori.

Noémie lui fit prendre un bain parfumé, passa l’éponge sur son corps malmené par les lames de fonds marines, l’enduisit après l’application de serviettes chaudes d’une crème à la rose qui lui procura un immense bien- être .

Un élixir aux fruits des bois lui ouvrit l’appétit et il fit honneur à la cotriade accompagnées de tranches de pain grillé au fromage frais et à l’estragon. Quelques fruits provenant de son verger, reines-claudes, poires et pommes, émincés et placés dans des coupes gourmandes avec un sirop de rose clôturèrent cet excellent repas.

Noémie l’invita à prendre un peu de repos. Au réveil, il était seul et sans la présence de la marmite contenant le reste de la cotriade, il aurait pu croire qu’il avait rêvé.

Il débarrassa les perles de leurs coquilles et laissa jouer le soleil sur cette nacre marine.

Il lutta contre le désir de revoir ses amis à l’auberge Aux trésors de la mer.

Coralie aurait écrit un joli poème sur les jeux de lumière autour des perles pensa-t-il et à cet instant, on frappa à la porte. C’était Coralie qui demeura bouche bée face à la récolte prodigieuse du pêcheur de perles.

«  J’ignorais que vous aviez ce talent » dit-elle.

Elle se joignit à lui pour déguster la cotriade servie par Noémie qui avait opéré sa réapparition. La jeune femme prépara la chambre d’ami pour Coralie puis elle s’éclipsa de nouveau après avoir servi une boisson parfumée aux fruits épicés.

Les amis bavardèrent comme au bon vieux temps de l’oisiveté puis se retirèrent dans leur chambre, Silvio devant se lever tôt pour repartir en mer.

Dès l’aube, il se dirigea vers les ondes prometteuses et plongea le plus loin possible dans l’espoir de trouver un nouveau banc d’huitres perlières.

Cette fois, il ne parvint pas à éviter la sirène qui l’entraîna à nouveau dans son palais de cristal. L’accueil princier fut accompagné de mouvements tendres et de preuves d’amour passionné qui procurèrent à Silvio d’intenses sensations jamais éprouvées.

«  Silvio, tu es mon prince, mon amour. Je souhaite que tu ne récoltes des perles que pour moi. Sache que je préserverai ton énergie vitale car je veux mettre au monde des enfants dont tu seras le père, sirènes et petits princes à ton image ».

Complètement ensorcelé, Silvio ne parlait pas, laissant son corps dériver dans un océan de volupté. La proximité d’un voilier rompit l’enchantement.

Les matelots hissèrent à bord un homme qu’ils prirent pour un naufragé et le débarquèrent en empruntant le canot de sauvetage.

Tout étourdi, gisant sur le sable, Silvio fut heureux d’entendre la voix douce de Noémie qui le ramenait à lui.

«  Vous ne pouvez pas toujours rapporter des perles » lui dit-elle avec douceur et comme la veille, elle procéda à une remise en forme de son corps endolori.

Elle avait préparé une jardinière de légumes et des côtes d’agneau rôties sur la braise. L’effet coup de fouet fut immédiat : Silvio retrouva ses esprits quelque peu égarés par le contact de la sulfureuse sirène.

Coralie étant repartie à l’auberge, le pêcheur de perles prit la décision de se reposer et d’oublier la plongée.

Noémie le frictionna à l’aide de serviettes imbibées d’huiles essentielles ce qui plongea le jeune homme dans un sommeil profond et réparateur.