Au fil des jours, les parties d’échec se prolongeaient, toujours plus passionnées, les champions se surpassant à chaque fois.
Samira avait sorti de son coffre des tenues élégantes pour que son hôte ne se sente pas en état d’infériorité.
Petit à petit, la mémoire émergea des nappes de brouillard formées au contact prolongé de l’océan.
L’homme se nommait Krishna et il avait vécu à Chandernagor dans un palais somptueux regorgeant de richesses. Féru du jeu d’échecs, il s’était inscrit dans un championnat qui se tenait à Alexandrie et c’est en voguant vers le lieu de la compétition que son navire, frappé par une tempête, avait fait naufrage.
Accroché au mât du navire, il avait survécu aux vagues houleuses et à la rencontre de cétacés puis il avait perdu connaissance à la suite d’un choc dont il ignorait la provenance et avait été entrainé dans les bas-fonds dont il s’était extrait à grand peine avant d’être secouru par les marins de la princesse.
Se félicitant des origines de son hôte, heureuse d’avoir contribué à sa guérison, la princesse mit un terme à leurs parties d’échecs, estimant que le jeu avait produit son effet salvateur ; il n’était pas besoin de poursuivre dans cette voie. Elle revint à la lecture et à la méditation avec sérénité.
De son côté, Krishna tenta de faire le point sur sa situation. Il écrivit une lettre destinée à ses proches et l’on confia ce courrier à un oiseau porteur de messages. Dans ces écrits, il précisait ses coordonnées géographiques pour qu’on lui envoie une goélette.
Il préférait mettre un terme à ses velléités de championnat et aspirait à la quiétude de son palais. Le jeu d’échecs ne lui apparaissait plus comme le nec plus ultra de l’existence.
S’inspirant des activités de la princesse qu’il tenait en haute estime, il désira lire.
Informée de ce souhait, la princesse mit à sa disposition un lot de livres susceptibles de le réconcilier avec la mer. Parmi ce choix, il y avait L’ Odyssée, Vingt Mille Lieues sous la mer ; elle ajouta Le Joueur de Dostoïevski pour le mettre en garde contre les excès du jeu.
Le prince Krishna dévora ces ouvrages et il était en train de lire des poèmes de Rabindranath Tagore lorsque sa goélette arriva pour le ramener à Chandernagor.
Il se sépara à regret de la princesse qui lui offrit les ouvrages prêtés, en ajouta d’autres, des poésies de Pierre de Ronsard, Joachim Du Bellay et un roman merveilleux La Princesse de Clèves.
Elle le pria également d’emporter des tenues d’apparat ainsi que son jeu d’échecs personnel en ivoire. La princesse regarda s’éloigner la goélette avec mélancolie et lorsqu’elle ne fut plus qu’un point à l’horizon, elle prit la décision de prendre également le chemin du retour.
Son aspiration à la liberté, au grand large et au vent de l’aventure porterait dorénavant le nom de Krishna, énigmatique prince indien au parfum épicé de l’orient.

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