Pour recevoir dignement sa voisine et imprimer sa marque professionnelle de traductrice patentée, Cassandre entreprit de réaliser un gâteau de riz aux huit trésors : outre le riz gluant qu’elle acheta dans une boutique spécialisée, elle se procura des baies de goji, des jujubes, des graines de lotus, des cacahuètes, des cerneaux de noix et des raisins secs.
Elle fit plusieurs essais avant de parvenir à la perfection, porta un gâteau à Frère Julien pour le changer des fars bretons et des crêpes et enfin, lorsque tout fut prêt, elle adressa une invitation à sa voisine.
Ce délicieux gâteau cher à l’Impératrice Tseu Hi serait accompagné de thé au jasmin et de petits gâteaux-surprises dont raffolaient les Asiatiques.
Angèle ne vint pas les mains vides. Après le déballage du cadeau, Cassandre découvrit un kimono de soie, un éventail et des sandales-maison.
« Ainsi vêtue et parée, vous sentirez palpiter l’âme des héros à qui vous donnez la vie dans notre langue » dit-elle en souriant et elle ajouta un collier de jade et une parure en corail.
Heureuse d’avoir pensé à préparer un dessert sophistiqué, Cassandre put observer le visage lisse, dénué d’expression de sa visiteuse.
Elle était vêtue avec raffinement mais il émanait de sa personne une étrange impression de dissimulation.
Elles parlèrent de leurs métiers respectifs mais dans ce domaine également, quelque chose de faux fit grincer la présentation policée de la profession supposée de la jeune femme.
Lorsque la visite prit fin, Cassandre remercia sa voisine pour la splendeur de ses cadeaux et elle proposa un repas de fête pour sceller leur amitié.
« Bien volontiers dit Angèle. Je m’attends à quelque chose de grandiose car ce gâteau de riz était un véritable délice » et elle pirouetta de manière gracieuse, révélant ainsi un talent pour la danse.
Cassandre nota ce détail et après le départ de sa voisine, elle établit une fiche récapitulative des signes sensoriels concernant l’énigmatique Angèle.
Des signes subliminaux remodelaient son personnage tranquille et artisanal.
Chassant cette atmosphère de suspicion, elle se concentra sur le menu qu’elle souhaitait proposer en remerciement des cadeaux somptueux qu’elle avait reçus. Elle retint quelques plats emblématiques et festifs : un bouillon de volaille aux perles du Japon, la fameuse andouille de Cambrai en pot-au-feu et les tartes qui faisaient la fierté des cuisinières du Nord, tartes au sucre, aux pruneaux et à la crème dite « au lait bouli » , crèmes aux spéculoos.
Elle se rendit chez Victor car ce repas digne d’une Ducasse ne pouvait être cuisiné en petites quantités. Il fallait prévoir une grande tablée et faire appel à des professionnels pour fêter la nouvelle venue.
Victor approuva cette idée et assura Cassandre qu’il prenait les choses en main. Ils arrêtèrent une date et la jeune femme rentra chez elle pour rédiger une invitation en bonne et due forme.
Le jour venu, Cassandre, vêtue d’une tenue sobre et élégante se rendit chez Victor avec une avance sur l’horaire fixé pour s’assurer que la table était parfaite. Elle avait écrit un compliment de bienvenue, prévoyant de le dire lors du trou normand.
Les invités arrivèrent un à un, apportant un cadeau. Cependant le temps passa et l’invitée ne se montra pas.
Victor dépêcha l’un de ses fils chez la retardataire. Alexis revint, porteur d’une mauvaise nouvelle : il avait frappé en vain à la porte de celle que l’on voulait fêter. La maison était en vain silencieuse.
« Qu’à cela ne tienne dit Victor ! Ne gâchons pas toute cette bonne nourriture et faisons la fête sans la reine. Demain, nous apprendrons peut-être les raisons de son absence ».
On fit bombance mais le cœur n’y était pas et le lendemain, Cassandre fit une étrange découverte : la maison de sa voisine ne révéla aucune trace de sa présence. De plus, une noria de camions déménagea tous les meubles de celle qui demeurerait définitivement une énigme.

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