samedi 19 septembre 2020

Graziella aux longs cheveux de fée



Confinée chez elle en télétravail, Graziella se consolait d’être loin du monde en conversant avec une tourterelle qui venait lui rendre visite à la même heure, l’heure du thé selon les Britanniques.

«  Un peu de thé, ma chère ? des scones ? un nuage de lait ? » susurrait Graziella et ses longs cheveux de fée balayaient la baie vitrée qui la séparait de sa visiteuse.

Les jours se suivaient, accentuant la morosité des tâches confiées par le manager de l’entreprise.

Un coursier venait lui apporter des plateaux-repas, lui donnant par ailleurs, quelques nouvelles du village de Mauvezin d’ Armagnac auquel sa maison était rattachée.

On parlait beaucoup d’une célèbre actrice britannique, Diana Rigg dont l’incarnation du personnage d’ Emma Peel dans la série Chapeau melon et bottes de cuir restaient dans les mémoires.

La dame de Mauvezin n’avait pas de rose aux dents, n’exécutait aucune cascade et ne buvait pas de champagne.

Par contre, elle aimait, à l’imitation de Montaigne, se mêler sans protocole aux voisins qui organisaient des fêtes, buvaient du floc, l’apéritif floral de la région de Gascogne. Comme eux, elle dégustait les plats traditionnels, garbure, salmis de palombes, rôti de chevreuil, salade garnie de cœurs de canard, assortiment de fromages et croustade gasconne fleurant bon le beurre doux, l’armagnac et les pruneaux d’ Agen.

Elle prenait plaisir à suivre les conversations animées, inspirées par les facéties qui illustraient déjà Les Trois Mousquetaires d’ Alexandre Dumas.

La galéjade est de mise en terre gasconne et chacun aime se distinguer par un bon mot.

La nouvelle de son décès attrista le village qui prit le deuil.

Graziella ne la connaissait pas suffisamment pour pleurer néanmoins, elle revit avec plaisir quelques épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir, après avoir terminé son travail.

Le même petit village de Mauvezin d’ Armagnac comptait un illustre occupant, le comte de Montesquiou, banquier chez Rothschild en semaine et Gentleman Farmer le week-end, en compagnie de son épouse qui gérait le Domaine d’ Espérance, domaine viticole produisant les fameux fleurons de la région, Floc, armagnac blanc ou vieilli en fûts de chêne.

Les vignes aux cépages variés, bacco, Merlot, Ugni Blanc, manseng et autres cépages nécessaires à l’élaboration d’alcools millénaires, étaient traitées avec soin par des ouvriers portugais qui ne rechignaient pas à la tâche.

Graziella avait eu l’occasion de rencontrer ce couple charmant et atypique lors d’une journée Portes Ouvertes à laquelle participaient une romancière, un producteur de charcuteries et salaisons diverses, du foie gras sous toutes ses formes notamment et des verrines de pâtés de toutes sortes, ainsi qu’un exposant vendant du miel d’acacia, de toutes fleurs et de châtaignier, du pain d’épices et autres gâteaux à base de miel.

La comtesse  espérait faire connaître les produits de son domaine car la concurrence était rude dans la région.

Un viticulteur nommé Laberdolive s’était fait une renommée mondiale dans la mesure où son grand-père avait connu l’artiste Fernandel, venu soigner ses rhumatismes dans la station thermale de Barbotan, limitrophe de Labastide d’ Armagnac , village connu également pour son célèbre café Tortoré dont les équipes de Jean-Pierre Pernaut avaient  réalisé un reportage.

L’Armagnac Laberdolive avait ainsi fait ses entrées sur les tables célèbres de Paris, dans les restaurants étoilés, pulvérisant toute concurrence.

Cette journée Portes Ouvertes ne s’avéra guère productive sur le plan commercial, notamment pour la romancière qui évita le déshonneur en vendant quelques livres à des amis venus pour elle et un ouvrage où le domaine d’ espérance était cité, au comte de Montesquiou, conscient de sa détresse.

L’opération ne fut pas renouvelée, au grand dam de Graziella qui avait gardé de cette journée un souvenir enchanté.

Elle avait acheté du Floc et de la Folle Blanche dont on disait qu’elle était un élixir de vie, du miel d’acacia et du pain d’épices à l’orange, quelques pots de foie gras et un livre A l’ombre des cerisiers en fleurs, ce qui enchanta la conteuse-romancière, venue du Nord et de Bretagne pour se réfugier en Aquitaine, terre de passage depuis les ravages du Prince Noir. Ses bastides ravissaient l’œil épris d’architecture qui s’ancrait dans l’Histoire.

Ce soir-là, Graziella but un petit verre de Folle Blanche, ce qui lui donna un coup de fouet.

La nuit, elle rêva que des petits anges chahuteurs jouaient avec des grains de raisin, faisant admirer aux insomniaques la couleur dorée de ces petites répliques solaires.

C’était à croire qu’un dieu du soleil avait propulsé sur terre une reproduction de la planète, à l’origine de la vie.

Les jours suivants, Graziella s’imposa des pauses.

Pèlerine, bottines de marche et masque destiné à éloigner les virus maléfiques furent les éléments essentiels de sa panoplie gasconne.

Elle commanda à la couturière du village un masque à l’effigie de Diana Rigg, pour célébrer le passage de l’artiste dans la jolie commune de Mauvezin et elle se rendit au domaine d’Espérance, sous prétexte d’acheter les derniers crus.

Elle demanda des nouvelles de la romancière, apprit que personne ne l’avait revue et elle repartit chez elle, décidée à renouer avec cette personne qui magnifiait le monde féerique dont on avait bien besoin en ces temps maussades et assombris par la crainte de la maladie virale qui frappait surtout les personnes âgées.

Elle envoya un mail à sa maison d’édition mais ne reçut pas de réponse, une nouvelle équipe pilotant l’entreprise parisienne, peu incline à maintenir des liens affectifs avec une personne qui ne réalisait pas de chiffre, noble nerf de la guerre !

C’est grâce à la tourterelle que la jeune fille eut des nouvelles de l’absente.

A l’heure du thé, elle déposa sur l’appui de fenêtre le dernier titre de la romancière La Tulipe d’Or.

Graziella e promit de commander l’ouvrage et d’en faire ses délices avant de s’endormir.

Ce sera sans doute plus sain de m’adonner à la lecture plutôt que de boire un petit verre de Folle Blanche. Cet alcool porte finalement bien son nom dans la mesure où il s’agit d’une boisson certes issue du raisin mais fortement alcoolisée.

Contente d’avoir pris ces bonnes résolutions, Graziella se coucha et s’endormit, rêvant d’un monde où les tourterelles, les contes et les jeunes filles absorbées par leur travail et isolées, formaient une ronde digne de celle qui enchanta Gérard de Nerval dans Adrienne.

Je remercie mes parents qui m’ont offert ce prénom romantique qui m’aidera à franchir victorieusement cette étape difficile qui nous rappelle des période grises que l’on croyait reléguées dans l’époque médiévale, porteuse de guerres, de maladies infectieuses mais aussi de créations magistrales comme Notre Dame de Paris et un goût pour la vie, forcené, raffiné et délicat !

 

 

 

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