mardi 29 septembre 2020

Le royaume des Mille Fontaines

 



Dans un royaume baigné par une mer lumineuse où l’on apercevait, dans les profondeurs,  une barrière de corail, on comptait mille fontaines, chacune d’elles ayant la particularité singulière d’être honorée par une divinité, représentée par le ciseau du sculpteur, en marbre irisé.

La princesse Adeline partait souvent à l’aventure, en calèche, à pied ou encore en carrosse voire à cheval sur sa jument alezane Fleur de Lune.

De fontaine en fontaine, elle enrichissait sa collection de pierres sacrées oubliées par le sculpteur et trouvait souvent mille et un trésors, un chapelet d’ivoire, une robe de baptême en dentelles anciennes, un livre enluminé, un portrait et des bouquets de fleurs fraîches, sans cesse renouvelées.

Elle rapportait tous ces souvenirs et les disposait artistiquement dans une salle où elle aimait se recueillir, un livre ou un carnet de notes à la main. Elle détaillait par écrit la visite à la fontaine et elle complétait la description par une esquisse ou une aquarelle.

Personne ne savait, au palais, les raisons pour lesquelles on avait commandé ces ouvrages d’art mais Adeline se faisait fort d’en découvrir le secret.

Comme dans les romans où un tableau était le point de départ d’une intrigue policière, Le Chardonneret de Donna Tartt par exemple, ces fontaines portaient certainement un message aussi difficile à décrypter que les hiéroglyphes dont Champollion trouva la clef.

En examinant attentivement les aquarelles réalisées à partir des fontaines visitées et en observant les objets collectés à proximité, elle crut percevoir une ronde de naïades s’ébattant au bord d’un fleuve qui s’était évaporé.

Voilà donc la cartographie de ce royaume : des sources et des rivières apparaissent puis s’assèchent, laissant derrière elles des cicatrices fluviales et nous offrant, par la grâce des fontainiers, le souvenir de ces beautés aquatiques disparues, pensa la princesse : j’ai lu dans un manuel  qu’une ville nommée Aigues Vives pour plaire au Roi Saint Louis avait ensuite dû prendre le nom d’ Aigues Mortes, le delta s’étant envasé à l’endroit précis d’où le roi s’était élancé à bord de son navire pour une dernière croisade.

Parvenue à ce degré de réflexion, la princesse Adeline éprouva le besoin de faire une pause dans ces étapes-découvertes.

Au terme d’une longue méditation, elle décida de lancer une vaste opération visant à construire, par strates, l’histoire du royaume.

Heureux de servir leur souveraine et enthousiastes quant à la qualité future de leurs recherches, de petits groupes de chevaliers partirent dans toutes les directions pour participer à l’énigmatique reconstitution des fontaines inscrites dans la mémoire géographique du royaume.

Les chercheurs partirent en triades, dessinateurs, poètes et géographes réunis pour faire parler ces mystérieuses fontaines.

Attendant fébrilement leur retour, la princesse Adeline, telle la reine Mathilde relatant la conquête d’une île par le biais d’une tapisserie, entreprit un ouvrage de haute lice.

Tissant et brodant, elle commença un ouvrage qui mettait en lumière les naïades réfugiées dans le miroir des fontaines.

Les groupes de chercheurs revinrent les uns après les autres avec leur précieuse collection de dessins, d’aquarelles, de chansons poétiques s’inspirant de la beauté inouïe des décors de chaque fontaine. Des géographes présentèrent leurs relevés topographiques et des échantillons empruntés au milieu ambiant.

La salle réservée aux études concrètes concernant les fontaines s’emplit de témoignages de toutes sortes.

Des philosophes et des mathématiciens tâchèrent de décrypter toutes ces trouvailles et ils finirent par émettre l’hypothèse suivante : à l’origine, le royaume était gouverné par des dieux représentant les forces telluriques.

Les sources, les rivières et les fleuves abondaient avec la puissance du Nil de l’Egypte Antique.

Les naïades vivaient en nombre et en beauté, évoluant dans l’eau en exécutant des figures aquatiques d’une telle magnificence qu’elles inspirèrent des maîtres fontainiers qui rivalisèrent dans l’art de sculpter le marbre de manière réaliste et poétique, sublimant les sensations quasi amoureuses éprouvées au contact de ces divinités.

Puis il se produisit un cataclysme inédit, chute d’un météorite ou autre phénomène étrange et les fleuves disparurent, ne laissant sur un sol orphelin que ces merveilleuses fontaines érigées à la gloire des naïades qui restèrent ainsi figées dans le marbre.

Satisfaite de ces investigations et du résultat positif de ces recherches, la princesse Adeline ordonna une grande fête et l’on vit, au milieu du service remarquable de plats savoureux, des danses exécutées en respectant une chorégraphie didactique relatant l’histoire du royaume et de ses fabuleuses fontaines dignes d’être conservées comme l’élément-mémoire d’un patrimoine inédit, révélateur d’une légende inscrite dans la terre.

 

 

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