samedi 12 septembre 2020

Une rose tatouée

 



Une rose tatouée sur la main, celle qui lui permettait de décocher des flèches victorieuses, le comte Ludwig allait bon train sur son cheval Orion.

De retour d’une expédition lointaine pour prêter main forte à son suzerain, il avait hâte de se reposer dans son château et de retrouver un doux art de vivre.

Profitant d’une halte près d’un ruisseau pour assouplir ses membres endoloris, il eut la surprise de voir venir à lui une merveilleuse beauté aux longs cheveux dénoués flottant au gré du vent en ondes dorées.

Moulée dans une robe de soie couleur fuchsia, elle ressemblait à ces déesses dont on rêve sans espoir de pouvoir caresser le corps. Cette merveilleuse jeune femme aurait pu servir de modèle à Phidias ou à Michel Ange.

L’apparition céleste prouva au comte Ludwig qu’elle était bien réelle en déposant un baiser sur la rose de son poignet, en plein cœur.

Prenant ce geste pour une invitation aux jeux de l’amour, Ludwig enlaça la belle mais ne rencontra que le vent.

Il reprit donc sa route avec pour compagne une mésange qui s’était posée sur son épaule.

C’est avec soulagement qu’il vit se profiler à l’horizon les hautes murailles de son château.

Il sonna du cor pour avertir tout un chacun que le maître était de retour.

Le pont levis fut abaissé lorsque l’on reconnut l’oriflamme et la silhouette du chevalier.

Il fut heureux de traverser la salle d’armes et de la voir dotée d’hommes en armes, prêts à bondir sur un assaillant potentiel.

Sa mère Aude de Trois Rivières se précipita pour l’embrasser.

Un agneau rôti, bardé et aromatisé par des baies de genièvre et des feuilles de laurier et de sauge fut prestement servi au seigneur tandis que des plats en terre cuite laissaient échapper le fumet prometteur de purée de raves et de topinambours. Des feuilles de choux farcies de bon fromage frais offert par les métayers étaient placées en couronne autour de la part réservée au seigneur.

Des tourtes à la rhubarbe et à l’angélique étaient servies avec des crèmes et des gelées de fruits de saison, poires, coings et pommes d’amour.

Ludwig fit honneur à cet excellent repas puis il prit place dans une pièce où flambait un bon feu de bois.

Dame Aude prit son ouvrage de broderie et tira l’aiguille avec célérité.

Elle remarqua la rose tatouée sur la main de son fils mais ne posa aucune question, préférant qu’il l’informe, à sa guise, des circonstances de cet acte inhabituel.

La mésange avait réussi à s’infiltrer dans le château et au moment même où Dame Aude s’interrogeait sur la présence de la rose tatouée, elle se posa dans le cœur de la fleur.

Ludwig caressa l’oiseau  qui fit entendre son chant. En fermant à demi les yeux, le comte crut percevoir la silhouette de la jeune femme qui l’avait subjugué par sa beauté près du ruisseau.

«  Vous devez vous demander, Mère, pourquoi j’ai cette rose tatouée sur la main. Sachez qu’en aidant notre suzerain à pourfendre un ennemi qui nous était supérieur par le nombre, nous nous sommes trouvés, quelques chevaliers et moi-même en fâcheuse posture.

Nous avons sonné de l’olifant pour appeler à l’aide et trouvant un refuge dans une caverne toute proche, nous avons attendu le salut.

Heureux de recevoir des renforts pour nous tirer d’un mauvais pas, nous nous sommes juré, à la fin des combats, de porter un signe de ralliement pour commémorer la bonne fortune.

Lors d’une halte dans un hameau, après nous être restaurés de soupe aux choux et de bonne crème, nous avons eu recours à un artiste qui vivait là. Expert en tatouages, il nous a proposé de nous tatouer une rose sur la partie de notre corps que nous lui désignerions.

Chacun de nous, les douze compagnons, aurait une rose distincte mais en cas de ralliement, nous pourrions combattre côte à côte grâce à ce signe reconnaissable.

J’ai choisi pour ma part la main qui décoche la flèche et une rose qui m’a séduit par sa forme et les coloris de ses pétales. »

Voilà une bien jolie histoire dit Dame Aude et je m’inspirerai de la rose qui peut sauver mon fils dans mon prochain ouvrage de broderie.

La soirée fut charmante puis Dame Aude demanda la permission de se retirer car le lendemain on donnerait au château une fête pour célébrer le retour du chevalier : Dame Aude aurait fort à faire pour superviser l’ordonnance des plats qui se succèderaient avec brio pour régaler les convives.

Ludwig embrassa sa mère sur le front puis il resta quelques instants près du feu, rêvant à la belle apparition qui l’avait enchanté.

Le lendemain, il galopa aux alentours du château puis il s’arrêta dans le jardin d’amour à la recherche d’un indice qui le mettrait sur la piste de la belle inconnue, si désirable que la rose de sa main semblait s’empourprer à son évocation.

Orion s’ébrouait tandis que le cavalier, assis sur un banc de pierre rêvait, les yeux à demi fermés.

C’est alors que l’enchantement se produisit une fois de plus.

La belle enchanteresse s’assit à ses côtés puis se laissa enlacer et embrasser par le comte dont les lèvres palpitaient de bonheur.

Ils revinrent tous les deux au château.

«  Mère, dit Ludwig, je vous présente ma future épouse, Damoiselle Myrta, aux yeux d’aube et à la taille de fée. Elle vous donnera de beaux petits fils qui défendront vos biens et enchantera mes journées.

Elle est ma rose d’orient, mon oiselle, mon amour éternel ».

Damoiselle Myrta se retira dans les appartements qu’on lui avait choisis, revêtit une robe somptueuse et éblouit les convives invités à la fête.

Lors de leur nuit de noces, la rose tatouée s’envola par la fenêtre, emportée par la mésange.

Quel est ce sortilège ? dit Ludwig et Myrta de lui répondre :

«  Cela signifie tout simplement que tant que vous vivrez auprès de moi, la guerre ne sera plus qu’un lointain souvenir appartenant à un passé révolu ».

Satisfait de cette réponse, le comte Ludwig enlaça à nouveau sa belle épouse, rêvant du petit enfant qui ne manquerait pas de naître de leur union.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire