vendredi 11 septembre 2020

Princesse Blanche

 



Véritable princesse des Mille et Une Nuits, vêtue le plus souvent de pourpre et d’or, Princesse Blanche ainsi prénommée pour magnifier le souvenir de Blanche de Castille, mère de Saint Louis, dotée d’un sens admirable de la gouvernance du royaume de France, Princesse Blanche disais-je, régnait sur tous les cœurs par sa gentillesse et son exceptionnelle beauté.

Tous les princes des alentours briguaient sa main mais la princesse avait un mot aimable pour chacun d’eux, faisant savoir par un madrigal ou un cadeau subtil qu’il n’était pas encore temps, pour elle, de convoler.

Elle prétendait avoir une mission à accomplir mais personne, dans son entourage immédiat, ne pouvait dire avec précision ce dont il était question.

Blanche n’avait confié à personne qu’une mésange lui avait transmis un message ainsi libellé :

«  Blanche, ne donne ton cœur à personne, une puissance divine te fera signe ».

Sans doute faut-il que je mérite mon prénom se dit la princesse et elle vécut dans l’expectative d’un événement qui lui donnerait la clef de l’énigme.

Elle continua à vivre comme par le passé, lisant, méditant, écrivant et brodant tout en réservant quelques heures à la promenade dans ses jardins.

Les carpes de l’étang attendaient sa venue avec impatience car elle ne manquait jamais de leur lancer des morceaux de pain et de brioche.

Un jour, l’une de ces carpes fit un bond prodigieux et atterrit à ses pieds, se métamorphosant en fée, vêtue de liserons, d’émeraudes et d’un fourreau de soie couleur arc-en-ciel.

N’aie pas peur, mon enfant, je suis ta marraine et je veille sur toi. Il est temps à présent que tu prennes ta destinée en main. Monte à cheval et pars en suivant l’étoile bleue qui t’indiquera la route à suivre.

Après avoir prononcé ces mots, la fée redevint carpe et regagna l’étang.

Docile, Blanche fit des préparatifs de voyage.

Elle choisit une matinée ensoleillée pour seller sa jument Vénus et partir à l’aventure.

Comme convenu, une étoile d’azur brillait à travers les frondaisons des grands arbres, incitant la princesse à aller de l’avant.

L’étoile se fixa sur les marches d’un palais d’été, au bord d’un étang où des carpes joueuses semblaient exécuter les figures d’un ballet aquatique.

Un palefrenier se chargea de Vénus, un jeune homme en livrée s’empara des bagages de la princesse et une douairière en tenue de gouvernante invita la princesse à pénétrer dans le palais.

Elle la conduisit dans une salle d’eau où elle put se baigner et revêtir ensuite une tenue d’intérieur élégante, en satin brodé de carpes d’or qui étaient sans nul doute le symbole de sa destinée.

Rafraîchie et reposée, parfumée d’ une fragrance  d’ambre et de fleurs de lotus, la princesse fut guidée vers une salle majestueuse, illuminée par des chandeliers bleus.

Le décor principal consistait en une table richement décorée : la porcelaine, le cristal et une argenterie en vermeil donnaient un éclat royal à un ensemble parfait.

On lui indiqua un fauteuil doré recouvert de velours grenat et elle y prit place, attendant des convives qui se placeraient à ses côtés.

Comme dans un ballet bien réglé, des couples se présentèrent, la saluèrent sobrement et s’assirent selon une étiquette qu’apparemment ils maîtrisaient.

Un fauteuil similaire à celui de la princesse, en vis-à-vis, à l’autre extrémité de la grande table, semblait attendre son occupant.

On apporta des amuse-bouche, du sherry, du sirop d’orgeat et des coupes de granité à la pomme.

Alors qu’elle s’apprêtait à croquer quelques grains de raisin doré, Blanche eut l’impression que l’étoile bleue faite homme venait d’entrer dans la pièce, l’illuminant de sa chaleureuse présence.

L’apparition féerique se dirigea droit vers elle et lui baisa la main de galante façon.

«  Ce palais est le vôtre, douce dame jolie, Blanche, ainsi nommée pour incarner le calice des lys perdus de la vallée des amants ».

Il déposa délicatement près de son hanap d’argent une parure d’or pur sertie de diamants et de pierres précieuses.

Puis il frappa élégamment dans ses mains et s’écria : «  Que la fête commence » !

Lorsqu’il fut assis, des serviteurs apportèrent des plats fabuleux, agneau cuit à la broche, montagne de semoule au beurre frais, parsemée de raisins secs et d’étoiles de badiane.

Des légumes en cocottes offraient une note juteuse et gourmande.

Tout était succulent.

Néanmoins Blanche mit un point d’honneur à ne pas paraître affamée.

Respectant les élémentaires codes de la courtoisie, elle nota avec satisfaction que son hôte se comportait de la même manière.

Entremets, pâtisseries, fruits rafraîchis furent servis prestement et à l’issue de ce dîner d’excellence, le prince Andréa invita Blanche à le suivre au salon où on leur servit du café, du thé et de la liqueur d’angélique.

Quelques mignardises leur offrirent un plaisir supplémentaire, à l’aune de leur symbiose pleine d’une tendresse qui jaillissait de leurs yeux étoilés.

Le prince conduisit son invitée dans ses appartements, lui chanta une romance qu’il avait composée en la voyant puis il se retira, laissant les dames d’honneur s’occuper de la toilette de la princesse.

Vêtue d’une élégante chemise de lin brodée de ces carpes d’or qu’on lui attribuait apparemment en guise de symbole, Blanche s’allongea dans un lit moelleux et s’endormit rapidement, rêvant d’un ballet improbable de biches et de daurades royales.

Le lendemain, après un bain apaisant, elle revêtit une jolie toilette d’intérieur chamarrée  puis elle descendit dans un boudoir où un petit déjeuner de qualité l’attendait.

Le prince Andréa,  lui dit-on , était sorti mais il avait laissé une missive à son intention.

Elle lut avec plaisir ces lignes charmantes :

«  Ma mie, je vous souhaite de passer une bonne journée. Faites ce qui vous plaît ! Nous nous reverrons ce soir pour le dîner. Votre attentionné Andréa ».

Après le petit déjeuner, Blanche passa quelques heures dans sa chambre dont les fenêtres donnaient sur un jardin dont elle admira l’harmonie.

Elle dessina et tout naturellement le portrait du prince naquit de ses doigts experts.

L’esquisse était fidèle et Blanche songea qu’elle pourrait lui servir de point de départ pour la réalisation d’une toile qui marquerait son passage par sa beauté et son innovation artistique.

Elle conçut quelques projets puis elle écrivit dans un carnet qui ne la quittait jamais le récit et les impressions de son voyage dont le point central était ce magnifique prince Andréa qui lui était déjà cher.

Ensuite, elle lut des contes de Madame d’Aulnoye et quelques lettres de Madame de Sévigné.

La matinée passa comme un rêve.

Elle se changea, passa un élégant tailleur et joliment chaussée de mocassins brodés, descendit pour prendre le repas de midi.

Quelle ne fut sa surprise de découvrir Andréa !

Il se précipita vers elle, lui embrassa délicatement les lèvres et lui déclara qu’il avait mis un terme à ses occupations tant il se sentait transporté par l’amour qu’il lui portait !

Ils mangèrent gaiement.

Après une courte sieste, ils se promenèrent dans les jardins qui étaient fort beaux.

Ils firent une halte dans une pergola où couraient des groseilliers, des rosiers grimpants et une belle clématite aux fleurs épanouies.

Assis sur une banquette, ils laissèrent les minutes s’égrener comme les premières notes d’une symphonie puis ils parlèrent en même temps, ce qui les fit sourire.

Andréa proposa à Blanche une promenade en barque sur l’étang, ce qu’elle accepta avec enthousiasme.

La barque Jonque Pourpre ainsi nommée parce que ses voiles flottaient au vent comme d’immenses pavots de couleur rouge, glissait sur les eaux de l’étang, troublé parfois par des carpes avides de jeux.

L’une d’elles atterrit dans la barque et se métamorphosa en fée, ce qui n’étonna guère le couple d’amants.

«  Chers enfants, dit-elle, je suis heureuse de constater que l’harmonie de votre couple est parfaite. Princesse Blanche, la mission de ta vie est simple : il s’agit de protéger la nature, sa flore, sa faune et plus particulièrement le monde aquatique qui nourrit les rivières, les fleuves, les lacs et les étangs de sa diversité.

Les carpes t’ont choisie comme souveraine et je te remets cette couronne distinctive, marquant le sceau de ton royaume lacustre ».

La fée posa le précieux diadème sur les cheveux de la princesse et plongea, se métamorphosant à nouveau en poisson scintillant d’écume.

Heureuse de connaître enfin le but de sa destinée, Blanche se confia au prince et tous deux revinrent au palais, décidés à assumer conjointement cette noble tâche.

La princesse invita Andréa  à se rendre dans sa demeure.

Elle partit à nouveau en enfourchant sa jument Venus et ce fut une joie pour tous d’apprendre que l’aventure avait trouvé un heureux dénouement.

On prépara la venue du prince pour lui signifier la bienvenue.

Festivités, bals et plantations arborées, en l’occurrence des orangers et des citronniers, devinrent la préoccupation de tout le personnel vivant au palais et lorsque Andréa arriva, avec des cadeaux pour tous, on activa le carillon de fête et un ballet aquatique embellit les eaux vives d’un étang dont les carpes portant couronne furent les témoins de l’union d’un couple prêt à défendre leur droit à la vie, en toute sérénité !

  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire