lundi 21 septembre 2020

Le dais de la reine

 



En s’abritant sous un dais fleurdelisé et décoré de licornes dans un joli paysage champêtre où gambadaient des lapins malicieux, la reine Flora reçut les hommages de ses chevaliers, à commencer par le plus prestigieux, François de Malestroit.

Personne n’osait l’affronter en tournoi ou en duel et lorsqu’il chantait, en s’accompagnant d’une harpe celtique ou d’une mandoline, il n’avait pas son pareil. Les oiseaux se taisaient, laissant éclater l’immense talent du chevalier.

Lorsque le plus humble de sa cour, Gilles de Tréhorenteuc se fut incliné, la main sur le cœur, la reine prit la parole :

«  Messires, rassurez-vous, je ne vous demanderai pas d’aller chercher le Graal au bout du monde. Simplement, j’ai besoin de votre aide car je songe à me marier. Il est grand temps que je mette au monde de beaux enfants qui défendront notre royaume.

J’ai reçu plusieurs demandes en mariage, notamment celle d’un prince italien mais j’hésite à opérer un choix qui déplairait à certains prétendants, au risque de déclencher une guerre.

Voici la liste des prétendants. Réfléchissez et donnez-moi ensuite votre avis. Revoyons-nous demain, fidèles chevaliers !

Avant de quitter mon domaine, n’hésitez pas à festoyer. La salle d’apparat vous attend avec , il va sans dire, un repas copieux et raffiné : timbales de volailles, tourtes aux pigeonneaux et aux champignons des bois, agneau rôti à la broche et un accompagnement de légumes cuits en cocotte luttée, plateau de fromages et pâtisseries diverses pouvant séduire les plus difficiles.

Je ne mangerai pas en votre compagnie car des travaux d’aiguille et de broderie m’attendent mais, pour vous rendre le repas plus aimable, j’ai invité mes dames de cour à vous rejoindre ».

Après ces paroles, la reine quitta son dais et regagna son palais.

Les chevaliers se dirigèrent tous vers la salle de réception du palais et prirent place auprès des dames qui les y attendaient en respectant une étiquette précise.

François de Malestroit se trouva ainsi placé à la droite de la magnifique Adélaïde de Montrouge, aussi belle que cultivée, artiste consommée en poésie et en contes choisis.

Quant au timide Gilles de Tréhorenteuc, il fut heureux de découvrir à ses côtés une véritable perle de modestie, ce qui lui procura un choc émotionnel sans précédent.

Rose du Bois Joli portait magnifiquement son nom et son titre et elle était émouvante de grâce et beauté confondues.

Des jeunes gens apportèrent prestement les plats, servirent du vin rosé et pétillant, de la cervoise et du cidre ainsi que de la belle eau fraîche en carafe qui circula à la ronde.

Après le dessert qui fut une véritable apothéose gourmande, des couples qui s’étaient formés durant le repas, s’égaillèrent dans le par cet nouèrent une idylle aussi courte que charmante.

Les chevaliers repartirent chez eux en emportant la précieuse liste des prétendants de la reine.

Seul, Gilles de Tréhorenteuc ne voulut pas quitter la belle Rose du Bois Joli et il s’endormit sur un sofa, à ses côtés.

La reine leur ayant octroyé finalement une semaine de réflexion car il était difficile de faire un choix dans un laps de temps trop court, les chevaliers revinrent à la date précise pour déposer le nom de leur choix dans une urne.

Le chambellan et la première dame d’honneur de la reine dépouillèrent les bulletins et il s’avéra que le choix se porta sur un prince hongrois prénommé Frédéric.

Outre la possession d’ un domaine conséquent,  il faisait preuve, disait-on, de nombreuses qualités, art de la guerre, connaissance approfondie des arts poétiques, et de plus, il pratiquait la danse et était un virtuose au violon.

Il faisait montre de douceur et de fermeté dans une symbiose parfaite.

«  Merci pour ce choix qui semble prometteur » dit la reine et pour clore ce chapitre, elle délégua une ambassade auprès du prince Frédéric de Richelande, avec des cadeaux et une invitation à se rendre dans le domaine de la reine Flora.

Dans cette attente, les cuisiniers du palais s’entraînèrent à entrelacer des F majuscules ornés de décors gourmands et ils parvinrent bientôt à un  niveau proche de la perfection.

Les chevaliers furent logés sous des tentes royales et durant leur séjour, ils ne manquèrent pas de signifier leur affection envers leur suzeraine.

Lorsque le prince Frédéric fit son entrée, il s’avéra que les louanges le concernant étaient amplement méritées.

Cristal, perles, parures de vermeil et vaisselle luxueuse furent offerts à la reine Flora et les festivités commencèrent.

Rien n’avait été laissé au hasard si bien que chacun crut qu’il était entré dans un livre de contes de fées.

Rose demanda à la reine l’autorisation de revenir dans le château de ses origines car, disait-elle, la vie de cour ne lui convenait plus.

La reine Flora ne fut pas dupe mais elle laissa partir la douce dame d’honneur qui ne lui avait jamais causé le moindre tourment et pour lui prouver sa gratitude, elle la dota richement.

Parallèlement, Gilles de Tréhorenteuc eut soudain l’impression qu’il n’était pas fait pour le métier des armes.

Elle le remercia d’un sourire et lui glissa en aparté qu’il avait fait le bon choix.

«  Je doterai votre premier enfant » lui glissa-t-elle à l’oreille et les deux amants s’en furent conquérir leur bonheur.

La reine apprit à connaître son futur compagnon. Elle pensa que personne, à l’exception de François de Malestroit ne pouvait lui arriver à la cheville.

Ils avaient des conversations choisies à la tombée du soir et il arrivait que Frédéric jouât un air mélancolique et doux sur son violon qui semblait avoir été conçu par Stradivarius.

Or, un jour, le violon disparut, ce qui jeta un froid  et fit grimacer le prince.

On chercha partout le précieux instrument mais ce fut en vain.

Le prince fit savoir qu’il ne pouvait pas vivre sans son violon et il annonça sur un ton sec qu’il repartait dans son pays natal et qu’il ne reviendrait que si le précieux instrument lui était rendu.

La consternation s’empara de tous et des investigations furent menées de plus belle pour retrouver l’honneur perdu, sans parler d’une romance brisée et des espoirs de mariage rompus.

La reine confia à sa première dame d’honneur que c’était peut-être un signe du ciel.

Le prince Frédéric a montré son véritable visage dit-elle pensivement. Cet homme merveilleux sur tous les points n’était donc qu’un leurre puisqu’il lui suffisait d’un désagrément, certes regrettable, pour se montrer sous un mauvais jour.

La reine rassura les chevaliers en leur disant qu’elle ne leur en voulait pas pour leur choix qui s’était avéré néfaste.

«  J’avais, moi aussi, jeté mon dévolu sur ce prince mais on ne dira jamais assez que c’est à l’épreuve des événements qu’une personnalité se dévoile. Certes la disparition du violon est regrettable et nous mettrons tout en œuvre pour le retrouver mais un objet, si précieux fût-il, ne mérite pas d’être porté aux nues et de plonger votre reine dans le néant.

Eh bien, mes amis, j’ai eu de la chance d’éviter un mariage qui aurait été malheureux !

Or donc, ne cherchons plus à l’extérieur de notre royaume le prince sans égal, capable de donner une belle lignée à mes fidèles sujets ».

Ayant ainsi parlé, la reine ordonna la poursuite des fêtes et cette fois, pour marquer son estime envers le ban royal et chevaleresque de ses soutiens, elle prit la place d’honneur du banquet, donnant à tour de rôle la place prépondérante à chacun.

Les liens se soudèrent plus étroitement entre la reine et sa cour.

Plus d’un œil averti nota cependant que le magnifique François de Malestroit tenait la plus haute marche, ce qui réjouissait les cuisiniers.

«  Nos initiales doubles du F tiennent toujours se disaient-ils en redoublant d’adresse pour une commande décisive.

Un dénouement inattendu se produisit lors d’un bal improvisé à la fin d’un repas : on entendit le son pur et sans égal du Stradivarius.

Chacun retenait sa respiration et l’on vit apparaître un petit garçon d’une dizaine d’années, un virtuose qui s’ignorait. Il avait pris le violon sans malice, un soir, alors que Frédéric, le prince Hongrois disait des mots galants à la reine.

L’enfant était sourd, orphelin et il s’était trouvé là, par hasard, le soir de la disparition du précieux instrument.

Sans hésiter, la reine adopta l’enfant et comme il n’avait aucune identité, elle lui donna celle de Louis des Forges, en référence au dieu Héphaïstos qui avait perdu l’ouïe en forgeant les boucliers des Achéens lors de la guerre de Troie, notamment le bouclier d’Achille, demeuré sans égal jusqu’à nos jours.

La reine offrit à l’enfant un très beau violon qu’elle fit placer dans un étui ouvragé, portant ses armes.

Elle dépêcha une escorte pour rendre au prince hongrois son instrument précieux.

Elle y joignit de somptueux cadeaux et une lettre d’excuse, sans s’étendre sur les circonstances de la disparition du violon et de sa réapparition.

Elle confia à François de Malestroit, son futur époux, que cette histoire était si fantastique qu’elle en devenait peu crédible, surtout pour un homme dont le cœur ne contient pas les richesses  auxquelles il pourrait prétendre, précisa-t-elle.

Le plus beau et le plus merveilleux des chevaliers s’unit à une sage souveraine et ils eurent des enfants à leur ressemblance tandis que Louis des Forges grandissait en composant des airs qui firent le tour du monde !

 

 

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