lundi 14 septembre 2020

Violaine aux yeux de bleuet

 



Dans un village pimpant aux maisons de  briques rouges et aux volets décorés de cœurs enrubannés, vivait une jeune fille experte dans l’art de la peinture.

Violaine aux yeux de bleuet comme la nommaient les jeunes gens du village désireux de s’unir à une telle beauté, ne vivait pas de son art mais travaillait dans les champs et là encore, elle n’avait pas sa pareille pour tresser des épis de blé et façonner de jolis fromages moulés provenant du lait de ses chèvres.

Elle aimait également cuisiner des plats recherchés, innovant sans cesse afin de plaire aux clients qui lui passaient des commandes à l’occasion des repas festifs.

Cœur coulant de fromage frais enrobé dans une coquille de pâte feuilletée, tartes inventives dont la décoration variait selon les saisons, pâtés impériaux et riz perle agrémenté d’œufs de cailles et de dés de tomates ou tomates cerises parfumés de coriandre ciselée, tajines d’agneau aux olives et farandoles de desserts aux fruits, crèmes en tout genre, la toute dernière à la lavande, suscitaient l’admiration des gourmets et un désir de revenez-y.

Violaine ne manquait jamais de commandes et l’argent ne lui faisait pas défaut.

Parfois, lorsqu’une idée de tableau s’imposait à son esprit vagabond, elle créait des compositions, dessinant, esquissant des croquis puis lors d’une journée qui lui offrait un espace de liberté, elle peignait, réalisant de ses pinceaux féeriques une œuvre qui marquerait les étapes de sa vie créative et intime.

Un jour, elle réalisa la silhouette d’un homme si séduisant qu’elle s’en éprit.

Il ne ressemblait à aucun habitant du village et semblait venir d’une terre lointaine où les canons habituels de la beauté différaient de ceux qu’elle connaissait.

Elle fut si troublée par ce fait qu’elle s’en ouvrit aux sages du village en leur montrant les portraits de cet homme qui semblait venir du ciel.

Un moine qui avait quitté une confrérie à la suite d’une maladie rare difficile à soigner en milieu clos se souvint d’une enluminure relative à un récit hagiographique, l’histoire de Saint Alexis.

Quelle extraordinaire coïncidence ! dit-il.

Guère plus avancée par ce rapprochement hagiographique, Violaine, rassurée toutefois, laissa libre cours à son expression artistique et se passionna pour la réalisation de son tableau.

Lorsqu’il fut terminé, le portrait était si beau et si lumineux que Violaine ne voulut le montrer à personne.

Elle l’installa dans sa chambre, rêvant d’une possible incarnation du romantique personnage dès qu’elle fermait les yeux.

Elle ne se sentait plus seule désormais et gardait cette création comme le plus beau de ses secrets.

Toujours active, elle multipliait les travaux, évitant désormais de reprendre la peinture.

Elle avait l’impression d’avoir réalisé l’œuvre de sa vie et elle ne souhaitait plus connaître d’autres émotions.

Un voyageur, en provenance de l’orient dont on parlait à propos des rois mages arriva un jour au village et demanda l’hospitalité à l’aubergiste.

Il s’était égaré dit-il en guise d’explication : un grand vent lui avait masqué les points repères de son itinéraire.

Encore sous le choc, fatigué d’avoir tant erré dans un environnement hostile, il décida de rester quelques jours au repos avant de reprendre sa route, à condition ajouta-t-il en souriant que les plats servis répondent à mon attente.

Pour ne pas perdre un client de marque, l’aubergiste demanda à Violaine de bien vouloir lui préparer des repas dont elle avait le secret.

Il lui suggéra de venir à l’auberge  afin de rencontrer son client et de lui soumettre quelques propositions pour mieux le satisfaire.

En arrivant à l’auberge, Violaine eut le souffle coupé et demanda l’autorisation de s’asseoir car le voyageur ressemblait trait pour trait au bel inconnu dont elle avait fait le portrait sans rencontrer le modèle.

«  Pardonnez-moi, messire, lui dit-elle, quand elle eut repris ses esprits mais vous ressemblez tant au portrait qui illustre un médaillon relatif à la vie de Saint Alexis que j’en ai été troublée !

C’est d’autant plus étrange répondit le voyageur que je me prénomme précisément Alexis, Alexis de Saint Thual pour vous servir, jolie demoiselle aux yeux de bleuet ».

Ces présentations dignes d’un madrigal terminées, les jeunes gens se concentrèrent sur l’élaboration de menus gourmands.

Ce sera à condition que vous soyez mon vis-à-vis dit le comte de Saint Thual. Je paierai le prix de vos repas il va sans dire, précisa-t-il.

Violaine eut beau protester, le voyageur fut intraitable.

Le lendemain fut un jour royal.

Des cailles dorées et juteuses à souhait du fait d’une macération dans un vin de muscat, posées sur des tranches de pain où nichait une escalope de foie gras mi- cuit, se dévoraient du regard, exhalant un fumet incomparable.

Une terrine de légumes et de champignons à la crème, lutée, formait un excellent accompagnement.

Quant au dessert, il s’agissait d’un gâteau cuit à la broche que Violaine venait justement de réaliser, pensant qu’il ferait les délice de nombreux convives, à la découpe.

C’était un dessert d’exception que l’on servait les jours de fête.

Pour ne pas être en reste, l’aubergiste avait préparé de belles jattes de crème, ce qui constitua un parfait supplément.

Il fut généreux également côté libations et de bons vins s’harmonisèrent avec les plats servis.

Le comte Alexis mangea de fort bon appétit, se montra aimable et avenant envers la jeune fille et la remercia galamment à la fin du repas.

Ce soir, lui dit-il, je me contenterai d’un léger potage et de quelques reliefs de ce repas de rêve.

Il insista pour que Violaine soit raccompagnée en cabriolet chez elle et il lui donna rendez-vous au lendemain.

Après lui avoir baisé la main, il glissa dans ses menottes un collier à trois rangs de perles, lui assurant qu’il était encore son débiteur, face à ses protestations.

Les jours passèrent comme un enchantement et alors que Violaine relisait ses livres de cuisine pour trouver un nouveau souffle gourmand, elle eut la surprise de voir le beau comte dans l’embrasure de sa porte.

«  J’ai voulu savoir où vous viviez dit-il sans ambages à la jeune fille puis il ajouta : je suis venu en vérité demander votre main.

Si vous consentez à devenir mon épouse, j’oublierai l’objet de mon voyage et vous emmènerai dans mon château qui deviendra le vôtre pour y célébrer des noces mémorables.

Vous souriez, ma mie ? »

Violaine ouvrit alors la porte de sa chambre, découvrant le portrait qu’elle avait réalisé avant sa venue et lui répondit tout simplement :

«  Comme vous pouvez le constater, je vous attendais, rêvant de vous avant votre venue »

Et lui raconta l’étrange histoire du portrait venu des cieux, ce qui cimenta leur union de manière définitive.

 

 

 

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